Un bal. Il ne manquait plus que ça... L'invitation avait été envoyée il y a plusieurs jours de cela, et depuis, j'appréhendais ce moment. Comment expliquer cette boule qui se formait dans ma gorge ? Parviendrais-je à m’éclipser discrètement, comme parfois ? Il me semblait que non. Pourquoi ? Simplement car mon père m'avait regardé, ou plutôt, jaugé du regard, avant d'afficher un sourire satisfait et de m'envoyer en ville, avec une commande. Une commande pour moi. Chaque occasion était bonne pour étaler la richesse familiale, avec parcimonie, bien entendue, Monsieur Warren ne saurais se ruiner pour des futilités. Non, il calculait tout, y compris, peut être, les chances d'avoir un bon mariage. Et cette idée ne pouvait que m'effrayer. Evidemment, voir du monde, aussi, m'inquiétais. Je détestais jouer ce rôle, être cette personne juste assez intelligente pour être de bonne compagnie, mais surtout obéissante et calme. Pour être une "bonne fille", il faut taire ses impulsions, cacher sa vivacité. Mais moi, est-ce que je veux être une "bonne fille" ? Non. Et un jour, les choses changeront surement. En attendant...
Je regardais mon reflet dans le miroir. J'étais déçue. Comment avait-il réussie à me donner cet air-là ? La robe, d'une teinte grise, presque celle du fer, mettait mon teint en valeur. Ma main toucha le miroir, et je regardais mon reflet, me demandant si c'était bien moi. J'avais tout fait pour paraître fatiguée, pour que mes cheveux restent en bataille. Et pourtant. Ma peau paraissait plus pâle qu'à l'accoutumé et ma taille plus fine, alors que le corset n'était pas bien serré. Même mes cheveux, qui auraient put faire tâche, rendaient bien. Je soupirais.
Le voyage n'avait pas été bien long, mais l’atmosphère avait été plutôt tendue. Le silence n'avait montré que le peu de liens et d'attaches que nous avions l'un pour l'autre. Un silence froid, pesant. Lui avait contemplé son oeuvre, sans s’empêcher de sourire, tandis que moi, accoudée à la fenêtre, je voyais défiler le paysage, entendant les bruits de sabots des chevaux. Ce bal, j'y allais à reculons. Que pourrais-je y faire ? Fuir. Ensuite ? M'ennuyer dans un coin, tout en faisant attention à ne pas tomber, avec cette crinoline, ce corset et ces chaussures. N'y avait-il pas plus confortable ? " Pas pour un bal.", avait répondu mon père, et, comme toujours, je n'avais rien dit de plus, me contentant d'oublier ces heures d'ennuis à venir. Oui, la ville d'Ordine était une ville magnifique, mais cette ville, ce n'était pas la mienne. Trop parfaite, trop délicate pour que je m'y sente parfaitement à l'aise. La plupart des personnes influentes de la région ou des habitants de la ville en question y serait. Et moi, je devrais faire illusion, comme toujours. Le cocher dit quelque chose à mon père, je n'écoutais pas. Et quand les chevaux s’arrêtèrent, je jetais un regard à l'imposante salle, un air de martyr dans le regard. Regard qui échappa à tous. Maintenant, le plus dur arrivait. Ornant mon visage d'un petit sourire poli, je descendais les marches de la voiture, mon père me tenant la main. Je retenais une moue de dégoût et marchais le plus droit possible, ne pouvant pas me permettre de salir la réputation qu'on me créait de toute pièce. Il y aurait bien trop à perdre. Le peu de liberté dont je disposais, par exemple. Sans faire plus attention au reste, j'entrais, et constatais en grimaçant que la pièce était presque vide. Impossible de se fondre dans la masse, ainsi. Vite, mon sourire factice revint, mais c'est avec peu d'entrain que je commençais ma tournée de salutation, tournée obligatoire pour mon père, qui ne manqua pas de resserrer sa main sur mon bras, histoire de me faire comprendre que je n'y échapperais pas. Résignée, je saluais des tas de gens, à la chaîne, tant et si bien que je ne me souvenais d'aucun nom ou visage, une fois ma tâche finie. Rapidement, la salle c'était remplie, et elle fourmillais maintenant de monde. M'éclipsant, laissant mon père dans un débat animé et horriblement bureaucratique, je faisais le tour de la salle, rasant presque les murs, avant de tomber sur quelque chose d'intéressant... Une vitrine où était exposé les noms des fondateurs de la ville. Je retenais un demi-sourire, où de la surprise mêlée à son contraire se confondait. Oui, j'étais surprise, mais pas tant que ça, au final. Il y a soixante ans, Damon était déjà à, et bien installé, en plus.. Une voix attira mon attention. Un jeune homme commença à me parler des fondateurs et me raconta tout un tas de choses qui ne m'intéressaient qu'à moitié. Oui, c'était intéressant, bon à savoir, mais lui les contaient si platement ! Et, à vrai dire, ce n'était pas lui que je voulais voir. Après tout une mascarade de "Humm", et de réponses polies aussi courtes que possible, je filais, maudissant ma curiosité; cet homme brun m'avait retenue pendant au moins trois quart d'heure ! Impossible de m'en défaire. Je soupirais, c'était bon, je l'avais semé. Enfin ! Balayant la salle bondée de monde, je me réfugiais sur un balcon, m'accoudant à la balustrade, pour mieux respirer. Bientôt, je regardais le ciel, pour mieux me distraire. Ma position était inconfortable; essayez de vous mettre à l'aise avec un cercle de fer sous vos jupes, nous verrons bien le résultat ! Mais je m'y faisais, et savourais ce petit moment gagné sur ce bal, ce petit moment où je choisissais, ne jouais pas. Un toussotement me fit me retourner, quelqu'un me regardait, je n'aimais pas ce regard, et tournais la tête, fixant obstinément le ciel qui s'assombrissait. Si seulement cette robe n'était pas si ... ! Je secouais la tête, avant d'entendre des pas et de ne pas bouger, mon coeur battant plus vite; que ferais-je si l'on m'invitait à danser ? Me mordant la lèvre, sans pouvoir me décider, je ne bougeais pas, respirais à peine.

- Bonjour, Amanda.

Cette voix ! Je me retournais d'un coup, un sourire se formant sur mon visage.

- Damon !

Inutile de dire que j'étais heureuse de le voir, la chose était sans doute bien assez visible,n rien qu'au ton de ma voix, ne parlons pas de mon sourire, de mes yeux ou du reste, c'est déjà assez parlant. Il déclara;

- Comment vas-tu ?

Puis ses yeux bleus se perdirent dans le ciel que je contemplait jusqu'alors, tandis que je lui répondais, voyant le reflet de l'astre blanc dans le regard de mon interlocuteur et sauveur de la soirée, qui la rendrait à coup sûr beaucoup plus intéressante. Lui offrant un autre sourire, je me redressais et lui répondais;

- Bien mieux maintenant, et toi ?

Mon regard ne quittait pas le sien, et j'étais si surprise de le voir ici que j'aurais bien pus lui sauter au cou, mais je m'abstenais tout de même; après tout, nous n'étions pas seuls...

Et puis, même si nous ne l'avions pas été, l'aurais-je fais ? La question trotta un instant dans mon esprit. Avec Grégory, il n'y avait pas de problèmes. Mais Grégory, je le connaissais depuis toujours. Pouvais-je en dire autant de Damon ? Non, certainement pas, et pourtant, il me semblait le connaître depuis... Au moins ça, songeais-je, un demi-sourire aux lèvres. Puis je relevais la tête, croisant son regard bleu glacé. Il avait presque l'air joyeux, ce soir. Et c'est avec un sourire amusé qu'il me répondit -peut être avais-je parut trop enthousiaste ? A vrai dire, je n'en avais cure-;

- Ça va.

Le plus simple possible. Oui, il n'était apparemment pas près à nuancer un peu plus ce genre de phrases, enfin, au moins, il me répondait, ce qui était déjà ça. Était-ce un problème de confiance ? Je secouais la tête, pas besoin de penser à ce genre de choses, au moins, ma soirée serait sans doute moins orageuse, plus légère, si elle pouvait l'être. Souriant, je me demandais à quoi pouvait-il bien penser, vu son air ailleurs. Adossée à la balustrade, je regardais une nouvelle fois le ciel, me demandant ce que pourrait nous réserver cette soirée. Je n'y avais croisé personne. Enfin si, mais "personne" dans le sens de connaissances, mais vu la masse, je me doutais bien qu'il serait possible de tomber sur une ou deux personnes en valant la peine. Encore fallait-il les débusquer de cette foule grouillante qui me faisait presque peur. Trop de monde. Beaucoup trop. A part cette quelque trentaine de jeunes hommes tous célibataires -étranges coïncidences- que mon père m'avait faite saluée, ainsi qu'une dizaine de collègues et qu'une quinzaine de personnes importantes, je n'avais vue personne. Mais c'était avant l'arrivée de Damon. Était-il ici depuis longtemps ? J'haussais les épaules, quelle importance ? Aucune, et c'était pour cette raison que j'en revenais à cette foule. Bien que la salle soit grande, elle était noire de monde, combien de personnes avaient-elles été invitées ici ? Je frissonnais en imaginant le nombre. Il y avait un orchestre, dans un coin et, fait étrange, malgré le brouhaha ambiant, nous l'entendions, même ici. La seule musique que j'avais vraiment aimé, c'était-celle de la pluie sur les toits, celle du vent dans les arbres, alors ces musiques-là, que je n'avais pour la plupart jamais entendues, je les entendais sans vraiment me sentir concernée, sans qu'elles ne m'évoquent rien. Sinon, il y avait bien le piano, qui produisait de magnifiques mélodies, si vous saviez en jouer, mais sans cela.. Oui, je n'étais surement pas très portée musique. Peut être à cause des heures où l'ont m'avait forcée à en faire ? Une drôle de moue, ressemblant vaguement à une grimace fut le résultat de ses souvenirs, et je me concentrais sur Damon, qui semblait sortir de ces pensées. Il m'offrit un sourire, avant de me tendre la main, que je prenais vraiment sans y penser, par habitude, mais c'est quand il s'inclina que je me figeais, pas certaine de comprendre. Sa phrase acheva de m'éclairer sur ses intentions;

- M'accorderiez-vous cette danse ?

Prenant un instant de réflexion, -tout en prenant en compte mon niveau de danse- je me remémorais mentalement les autres hommes de la soirées, avec un dégoût à peine dissimulé pour eux, évidemment, tout était intérieur, et je songea en souriant que cet homme, en face de moi, qui me demandais cette danse était surement un des seuls à qui j'aurais pus accepter. Avec qui j'acceptais de danser.

- Avec plaisir.

Je répondais à son sourire, me courbant légèrement, pas trop, pour m'éviter de tomber, avec tout le poids de la crinoline. Plus mon âge avançait, plus elle était lourde, à croire qu'on voulait m'éviter de partir en courant... Ce qui marchait plutôt bien. Lui offrant un sourire, je déglutissais, me remémorant les pas de bases, oui, je ne dansais pas tout les jours, loin de là, préférant éviter ce genre de choses, surtout en vue de la compagnie qu'on pouvait bien m'offrir. Car même si en écrasant le pied de Damon, j'étais sûre de ne pas lui faire trop mal, je n'avais quand même pas envie de montrer à quelle point j'étais maladroite, même s'il pouvait sans doute le savoir, quelque part. Evidemment, en danse, je l'étais moins qu'au quotidien, vu que ma professeur, enfin, ma première, avait été ma mère. Plus besoin de chercher pour comprendre la façon dont je m'appliquais en la matière. Rencontrant son regard, mon sourire s'élargie et je serrais d'avantage sa main, me rapprochant, prenant enfin conscience que la musique avait changé, depuis quelques minutes déjà.

Damon, après avoir passé son bras autour de ma taille, doucement, comme pour ne pas me faire mal, il commença à danser et je le suivais. C'était agréable, il savait ce qu'il faisait, menait bien la danse, en accord avec la musique que l'orchestre jouait. Pour une fois, je n'avais pas l'impression d'être un poids mort, d'être un fardeau. Mes habituels cavaliers imposés -riches et influents, évidemment, merci papa...- n'avaient peut être pas un assez bon niveau, après tout. Ou alors, c'était une histoire de nature. Pas assez fort tout en gardant se côté souple. Hum... Peut être autre chose, ou le mélange des deux, qui sait ? J'arrêtais là mes réflexions, profitant du moment, offrant un sourire sincère à mon cavalier. Mais évidemment, il fallait que les choses ne durent pas. Déjà qu'une danse me semblait courte ! Là, il n'y en eu que la moitié. Damon c'était arrêté, sans que je sache pourquoi. Je me retournais, et tombais avec surprise -et exaspération- sur mon paternel. Que venait-il faire là ? N'avait-il personne d'autre à saluer ? Franchement déçue que nous soyons si abruptement arrêté, je cachais néanmoins ma déception, des sentiments trop visibles ne feraient que faire peur à mon père -Imaginez que je ne me marie pas à quelqu'un qu'il ait choisit ! Oh, malheur, mort et ce que vous voulez.. !-. Le visage plutôt neutre, dirons-nous, je regardais ainsi mon père, tandis que nous nous séparions. Contrariée ? Oui, je l'étais, d'une humeur exécrable, qui plus est. Monsieur Warren avait définitivement tout gagné, avec moi, et c'était peu dire.

- Amanda, je te cherchais, j'ai quelqu'un à te présenter. Mais qui est donc ce jeune homme avec qui tu danse ?

Les sourcils légèrement froncés, j'attendis un instant, histoire d'inspirer, pour me calmer mais aussi d'attendre, voir si Damon ne parlait pas. Non ? Bien, à moi, donc.

- Encore ? Il me semble pourtant avoir salué toutes les personnes présentes.

Et non, ce n'était pas de l'ironie, j'avais bel et bien été contrainte de saluer toute les familles importantes, tout les invités de marques, tout les collaborateurs et éventuels futurs collaborateurs de mon père. N'était-ce pas assez ? Apparemment pas. Mon ton, donc, était dénué d'ironie, mais pas d'une légère hostilité. Vraisemblablement sec, emprunt de ce genre de politesses exacerbées que je ne réserve que pour mon père. Et avant de lui laisser le temps ou l'occasion de répondre, j'enchaîne sur sa deuxième remarque.

- C'est un ami.

Lançant un regard à Damon, je le laisse se présenter seul, puisque ce n'est pas à moi de le faire. Surtout pas à mon père. Et, retenant de peu ma remarque sur l'utilité d'un bal et la nécessité de danser, de peur que mon père ne me prenne au mot, sans toutefois me laisser choisir mon cavalier et reprendre ma danse.

J'étais énervée, frustrée, et je me sentais impuissante. Terriblement inoffensive, inutile. De quel droit interrompait-il sans cérémonie une danse ? Monsieur contrôle tout ? Je masquais ma colère. Je n'étais même pas gênée, j'étais bien trop en colère pour l'être. Et ma colère ne décroissait pas. J'avais cette envie brûlante de faire toute une esclandre. Mais pourquoi, comment ? Mon père ne me pardonnerait pas cet affront. Son pardon ? Je m'en contrefichais bien, mais le problème, c'était les représailles. Inspire. Expire. Inspire. Voilà, une expression neutre, calme-toi. Pourtant, impossible de relâcher complètement mes poings. Je jetais de nouveau un regard du côté de Damon, qui n'avait pas l'air ravi de cette rencontre. Après tout, la dernière fois que les deux hommes avaient été dans la même pièce, c'était quand mon père était entré dans ma chambre après m'avoir entendu parler. Sans mon intervention, Damon aurait été découvert. Il ne devait donc pas avoir de bons souvenirs de cet homme, mon père.. Père qui lui ne connaissait pas mon cavalier, chose qu'il ne supportait apparemment pas.

- Damon Salvatore, Monsieur.

Si je ne connaissais pas Damon -du moins, si le peu que je sache de lui signifie que je le connais- je l'aurais presque crus sincère. Presque parce que son regard est sombre, et que sa mâchoire est contractée. Détails, oui, mais important. Son sourire sonnait faux, et je trouvais son signe de tête presque ironique. En même temps, lequel de nous deux détestait le plus l'homme qui nous faisait face ? Moi, à n'en pas douter, et j'exagérais surement les réactions de Damon, qui faisait peut être juste semblant. La voix légèrement grave de on père s'éleva alors.

- Hum.. Bien, enchanté, Williams Warren.

Un bref hochement de tête, ce regard fixe qui montre qu'il essaie de se souvenir de quelque chose sur la personne, ce léger mouvement agacé de la mâchoire, qui montre que ce Damon ne lui dit rien. Il plisse les yeux, mécaniquement, pour se souvenir de ce visage et de ce nom, puis se tourne à demi, déclarant d'un ton tranchant;

- Amanda, vient.

Là, je ne peux m'empêcher de laisser un soupir m'échapper, je calme mon air légèrement ahuri devant tant d'impolitesse et de platitude. Pas d'excuses, rien. Un simple "Vient". Et si je ne venais pas ? Les lèvres serrés, j'adresse un signe de tête désolé à Damon, puis me tourne vers mon père, le regard dur, sévère. A croire qu'ici, c'est moi l'adulte. Je suis on père, prenant tout mon temps pour marcher, ce qui le fait toujours sortir de ses gonds. Et quand il me fit tout un sermon sur le temps perdu à traîner ainsi, je n'écoutais pas un de ces mots, rien, mon esprit était ailleurs. Bien loin. La personne qu'il voulait me présenter ne m'intéressait pas. Celle qui m'intéressait était d'une toute autre trempe...

- Vous vous rappelez de ma fille, Amanda ? La voilà, pourquoi ne pas faire connaissance ?

L’intonation de sa voix me donne la nausée. Que pense-t-il insinuer, ainsi ? Mais bientôt, heureusement, il part. Un poids de moins à porter. L'air me semble plus respirable, moins saturé. Moins saturé que quand mon paternel est dans les parages. Mais la situation ne me semble pas plus reluisante. Enfin pas beaucoup plus. Mon père n'est pas la seule personne pour qui je n'ai pas de sympathie. Loin de là.. Le pire, quand j'y repensais, ça avait été la façon de me faire quitter Damon. Le jaugeant, le jugeant. Comme s'il n'était pas digne de danser ou de parler à sa fille. Comme si je ne pouvais pas choisir qui en était digne. Puis sa façon de tourner le dos, sans un mot. Comme s'il venait déposer un cheval à une écurie, partant sans se retourner. Comme si certaines personnes n'avaient pas d'importances, ne valaient rien. Damon, lui, c'était parfaitement contenu, avait haussé les épaules. Il ne trouvait peut être pas l'intervention de mon père grave. Moi si. J'étais ulcérée qu'il ose faire cela. Qu'il se mêle ouvertement de ma vie, de mes connaissances. On ne devient pas un père du jour au lendemain. Je masquais un soupire, le jeune homme, à peine plus âgé que moi, étalait une science inexacte qui ne me plaisait pas. Il arguait je ne sais qu'elle thèse en latin, pour se rendre intelligent. Ne savait-il pas que je connaissais le latin ? Il se trompait souvent, l'air de rien, se montrant sur de lui. Stupide et fier. Définitivement inintéressant. Moi, je ne faisais même pas semblant d'écouter. Perdue dans mes pensées, je songeais, amère, au rôle de mon père dans ma vie, en général. Il n'avait pas un mari pour ma mère, ou du moins pas longtemps, n'avait pas fait un bon père. A quoi servait-il ? Il ne savait qu'être maire, le seul rôle qu'il maîtrisait. Comme père, il ne valait rien. Une bonne demeure, de la nourriture, quelques agréments, donner aux autres une bonne image de la famille, de moi, tenter de me présenter à d'autres, voilà tout ce qu'il faisait. Je ne dis pas qu'il ne savait pas le faire, non, mais cela ne me touchait pas souvent dans le sens positif de la chose, je ne voyais pas le rapprochement entre les actions de ce qui me semblerait être celles d'un bon père et les siennes.. Allez, assez réfléchi. Ces pensées me rendaient plus maussade qu'autre chose. Je n'aime pas être maussade. Je soupirais, ne captant même pas l'attention de la personne qui me parlait. A croire qu'il parlait dans le vide. C'est fou comme les gens peuvent avoir peu de considération pour vous, alors qu'ils vont parlent et tâchent -plus mal que bien- de vous impressionner. Là, je réfléchissais. S'excuser et prendre congé ou.. S'éloigner rapidement. Bien trop amusée à l'idée de me sauver que de trouver une excuse, et en sachant que mon père trouverait ma façon de m'excuser peu convenable, je jetais un regard au jeune homme qui était blond, et dont je ne connaissais même pas le prénom -J'avais décroché au moment où mon père avait dit le mot "connaissance"-. Il semblait prit dans son monologue. Parfait.. Quelques pas sur le côté, sans bruits, encore un peu.. Voilà, je me trouvais maintenant coincée dans la foule, prise entre plusieurs danseurs, mais au moins, mon ancien interlocuteur ne me verrait pas.. Je reprenais mon souffle, quelques mètres plus loin, veillant à mettre le plus de distance possible entre mon père et moi, que je venais d'apercevoir, derrière plusieurs danseurs. Là, je m'arrêtais, en pleine foule. Maintenant que je m'étais débarrassée du blond et momentanément de mon père, qu'allais-je faire ? Je jetais un regard vers la fenêtre. Du monde au balcon, trop de personnes. Je grimaçais, ne trouvant aucun échappatoire. Allais-je devoir rester ici, toute la soirée ? Je masquais une moue horrifiée derrière un air vaguement poli, pas besoin d'alarmer les personnes présentes. Décidant qu'il ne valait mieux pas attirer l'attention sur moi, je m'extrayais de la foule, avant de me retrouver prêt d'un mur de la salle. L'endroit aurait pu convenir. Aurait pu, si seulement mon père n'y était pas. Heureusement pour moi, il ne m'avait pas vu, et je revenais sur mes pas, à reculons, sans le quitter des yeux. Au moment où, assez éloignée de lui, je me retournais, je percutais quelque chose. Enfin quelqu'un. Je levais les yeux et.. Oh !

Oh. Oui, c'est ça, c'est le mot. Sur qui d'autre aurais-je pus tomber ? Damon. Mes lèvres s'étirent d'elles-même en un sourire et, surprise mais contente de la tournure que cette soirée prend. Il a l'air aussi surpris que moi, et je trouve un sourire sur son visage. Le mien s'élargit encore. Pour moi, la soirée avait été achevée au moment où il était venu, lui et ses idées de présentations. Il faut pourtant croire que je m'étais trompée. Que pouvait encore réserver cette journée ? J'avais hâte de le découvrir. Reculant d'un pas, pour m'assurer de garder l'équilibre, je ne pouvais m'empêcher de sourire. Un regard vers la foule ne m'appris rien sur les actions de mon paternel : il devait discuter affaires. Nous étions assurés d'être tranquilles, au moins pour un moment.

- Tu es tout à fait ravissante ce soir, Amanda, je te l'ai déjà dit ?

Son compliment m'alla droit au coeur, et je baissais légèrement la tête, gênée, avant de remettre en ordre les plus de ma robe. Elle était étudiée pour. Mon père ne faisait pas souvent les choses à moitié. Dans d'autres occasions -si ce n'était pas important pour son travail, pour lui-, je l'aurais aimée, cette robe, moi aussi. Mais elle ne m'apparaissait là que comme un moyen de parvenir à ses fins, de me faire objet, son objet, celui qu'il pouvait troquer. Je le remerciais d'un signe de tête, ne sachant pas quoi dire sans parler de ladite robe. Je prenais alors sa main dans la mienne et déclarais;

- Viens, sortons.

Mes pas nous menèrent vers la porte de la salle et je sortais, souriant de sentir à nouveau le vent avant de m'asseoir sur les marches, ne souhaitant pas rester debout -avec de telles chaussures, cela relevait à de la torture-. Mon regard s'égara sur son costume, tout aussi sombre qu'à son habitude. Je souriais, ajoutant;

- Tu es très élégant.

A vrai dire, l'occasion s'y prêtais. Et, lors de nos autres rencontres, elle n'était pas vraiment là, cette occasion. Le rencontrer ce soir avait été une bonne surprise, le voir deux fois en était une meilleure, avec un goût tout particulier que j'appréciais. Imaginer ne pas l'avoir croisé une seule fois me fit grimacer. Je tentais de me reprendre : ce n'était pas arrivé, aucune raison d'y penser. Repensant à mon père, je me trouvais obliger de déclarer;

- Je suis désolée, tu sais, pour mon père..

Je ne pouvais pas dire pour sa défense qu'il était autrement, dans d'autres occasions. Toujours aussi obsédé du contrôle, seulement agréable avec les personnes qui l'intéressent. Manipulateur, presque charismatique, beau parleur, homme d'affaire et maire émérite. Je soupirais. Avec le temps, il devenait plus énervant encore, et rester calme, obéir devenait de plus en plus dur. Peut-être était-ce moi ? Me contenter de cette réponse m'aurait plût, mais je ne pouvais pas prendre toute la faute quand lui se faisait de plus en plus exigeant, intraitable. Le problème, c'est qu'il ne comprenait pas. Je ne serais jamais la fille parfaite qu'il attends. Jamais. Je n'en ai pas l'étoffe. Je secouais la tête, entourant mes genoux de mes bras. Puis je regardais Damon, lui souriais, et regardais le ciel, la lune faisant miroiter ma robe de ces reflets d'albâtres.

Son sourire est presque moqueur. Tiens, qu'ai-je dis ? Le compliment était peut-être de trop, mais je le laisse quand même : ce n'est que la vérité -et de toute façon, je ne me risquerais pas à le flatter vainement, il est déjà si arrogant.. Pour ce qui est de mon Père.. Je vois bien qu'il n'a pas apprécié que j'en reparle, mais que puis-je faire d'autre ? Je ne vais pas nier les faits, mon Père est venu, a gâché notre début de soirée et, je l'espère, nous laissera maintenant en paix. Je ne peux pas oublier ce qui c'est passé, la façon dont ce dernier s'est interposé entre nous, tout. Damon soupire et s'installe à côté de moi. J'ai peur que la conversation prenne un mauvais tournant, mais tant pis. Je nous ai amené sur ce sujet, je n'ai plus qu'à tendre l'oreille et poursuivre, et c'est bien assez pour l'heure. Le soupir qui lui échappe n'est pas perdu pour moi, et je relève le menton pour le regarder. Il s'installe à mes côtés, et je savoure un instant ce silence, ce calme. C'est rare, en sa présence. Un demi-sourire qui se fane aussitôt naît sur mes lèvres. Oui, et parfois, les choses prennent de mauvaises fins. Comme un nuage passe dans mon regard et j'en sors presque frissonnante. Il y a des choses que j'aimerais oublier. Mais son regard est là pour me tenir à distance des mauvaises pensées -étrange, quand l'on pense que, dans un premier temps, il était celui qui me tenait éveillée la nuit, agitée, en proie à d'affreux cauchemars, tous plus sanglants les uns que les autres. Il croise ces doigts, et je pense distraitement que je n'aurais pas dut lâcher sa main, avant qu'il ne déclare;

- Je suis bien mal placé pour porter un jugement sur quiconque, mais je sais au moins que tu n'es pas obligée de t'excuser pour ce que les autres font.

Je suis tentée de l'arrêter pour lui dire que ce sont les seuls mots d'excuses qu'il obtiendra jamais pour le Maire de Flamdone, qu'une personne au moins reconnaît les tords qui sont les siens ce soir mais il poursuit, sans me laisser le temps de lui répondre.

- Tu n'es pas responsable des actes de ton père... Et... On n'est pas tous côtoyable de la même façon.

Je ravale un soupir et serre d'avantage mes bras, posant ma tête sur mes genoux. Il a raison, c'est vrai, mais qui peut bien l'être, dans ce cas ? Je lève les yeux vers le ciel tandis qu'ils deviennent humides. J'espère que je ne vais pas pleurer. Il ne faut pas, pas ce soir.. Alors je pince les lèvres, fixe la toile bleue qui fait office de plafond un instant, juste de quoi reprendre mes esprits.

- Enfin... Ça sonnait bien mieux dans mon esprit...

Un sourire m'échappe, et je lève la tête vers lui, à temps pour le voir sourire, se moquant gentiment de lui-même. Il espérait peut-être mieux de lui, mais c'est bien suffisant pour moi. Il mériterait même un câlin, pour essayer de me "réconforter" -un bien grand mot, mais ce n'est pas Grégory, alors je me contente de lâcher un de mes genoux pour lui saisir la main, la pressant doucement, sans toutefois savoir si le message passe.

- Merci.

Je ne sais pas s'il comprend mais.. Ce qu'il vient de faire compte pour moi. Me détacher du Maire est une -in-attention-?- délicate. Je ne suis pas lui, oui, c'est sûr, mais je partage des liens trop étroit avec tout de même.. Au diable cet homme, c'en est assez, il n'est pas bien loin, il vaut mieux ne pas l'invoquer, puis, j'en est déjà trop parlé pour ce soir, bien trop. Mon regard chercha le sien et, ma main toujours dans la sienne, je demandais :

- Au faites, que fais-tu ici ?

Puis, trouvant ma question bien trop.. Enfin, sous-entendant presque qu'il n'avait rien à faire ici -ce qui n'était pas le cas ! Pas pour moi, j'ajoutais rapidement :

- Enfin, je veux dire que c'est la première fois que je te rencontre dans.. ce genre de contexte.

J'espérais qu'il comprenne ce que j'essayais de dire - je me sentais vraiment sotte de mal m'exprimer à ce point, presque gênée. Oh, j'y pense, faîtes que je ne rougisse pas ! Ma bêtise à son comble, j'en serais venue à me cacher le visage sur les plis de ma robe, si ma main n'avait pas été suspendue entre nous, tout contre la sienne.

En ville, en forêt, même chez moi, oui.. Mais ici, avec tout ce monde ? J'ai l'impression qu'il dénote. Le voir avec tout ces gens si normaux me semble étrange, vraiment. Mais c'est une très bonne surprise, comme toujours. Un des fondateurs de la ville, évidemment.. Un petit sourire sur les lèvres, je profite de l'instant, de ce moment calme, peut-être trop - à croire que je me suis habituée à ce que l'on soit toujours séparé ou interrompu, mais je ne cherche pas plus loin. Ma main presque dans la sienne et tout va déjà beaucoup mieux. C'est fou comme un si petit contact peut m'influencer. Rien que nous deux et je suis déjà plus sereine, plus libre. Plus personne pour m’embarrasser ou me dire quoi faire, je vole ces quelques instants à toutes les personnes présentes à cette fête. Qu'il soit le plus long possible. Je soupire d'aise et regarde un instant le ciel, distraire par un bruit au loin.

- J'ai aidé à fondé cette ville, Amanda. Devrais-je donc me trouver ailleurs ? Aurais-tu préféré que je me trouve ailleurs ?

Après le sérieux de sa première question, la deuxième me prend de cours et je me surprend à sourire d'avantage. J'aime quand tout est aussi léger, simple entre nous. Ca change, mais ça fait du bien. C'est.. reposant, en un sens.

- Oh non, tu es très bien ici.

J'appuie sur le dernier mot tout en posant ma tête contre son bras, un grand sourire aux lèvres. Mais même le meilleur doit un moment prendre fin, et il vaut mieux que ce soit à cause de nous que par un indésirable. Je me redresse à demi pour le regarder. Ces changements d'humeurs incessants font-ils parti de son caractère ou est-ce juste.. je ne sais pas, passager ou quelque chose comme ça ? Je ne sais pas, mais, avec le temps, je commence à.. m'y faire, en quelque sorte. Son regard m'inquiète. C'est la première fois qu'il est ainsi. Il me rend triste. De quoi peut-tu bien avoir peur, Damon ? Je me tourne vers lui, lui prends les demains, mes yeux dans les siens, mais la peur ne s'y trouve déjà plus.

- Damon, ça va ?

J'aimerais lui demander ce qui se passe plus clairement, pouvoir y changer quelque chose dans l'instant.
Mais la vie est loin d'être si clémente, et Damon bien compliqué - mais qui ne l'est pas, après tout, ce n'est qu'une question de point de vu. Alors je me contente d'être là, près de lui, espérant follement que ma simple présence puisse en quelque sorte l'aider à aller mieux, arranger les choses.

Je suis loin de savoir si mon action vaut vraiment le coup car, aussitôt ou presque, il se referme. Il était ailleurs, perplexe, le voilà maintenant secret, loin de moi, alors que je tiens toujours ses mains. Je les relâche sur ses genoux avant que le contact soit trop long. A croire que j'apprends mes leçons. J'ai l'impression qu'il a peur, quelque part, et ça me chagrine. Il a peur en ma présence. C'est une nouvelle fois de moi qu'il s'éloigne, qu'il se referme sur lui-même. Je vais commencer à envisager qu'il soit timide ou hanté par je ne sais quelle chose. Avec lui, chaque moment se gagne, est compliqué. Se complique-t-il lui-même la vie ? C'est possible. Mais je ne suis pas là pour essayer de le psychanalyser. Il ne sait vraisemblablement pas quoi faire, pas quoi dire, alors je ne suis pas surprise quand sa réponse n'est qu'une syllabe, sans réelle inflexion.

- Oui.

Sa réponse ne satisferait personne, mais je la prends. Si c'est tout ce qu'il me donne, soit. Il ne veut pas en parler, je le laisse. Ne dit-on pas que si les gens veulent parler, ils le feront ? J'ose espérer que c'est la vérité, que je ne rate rien en n'insistant pas. Mais je n'en ai pas non plus envie. J'ai appris à respecter le silence de certaines personnes, alors je m'en accommode, jouant distraitement avec le bas de ma robe. Son regard est fixé sur un point que je ne distingue pas bien, dans la pénombre, mais est résolument pointé vers le sol. Je ne cherche pas à le toucher, lui laissant le temps nécessaire pour changer de sujet, faire quelque chose. Mais nous nous emmurons dans le silence. Il ne bouge pas, ne cherche pas à faire évoluer la situation. Après avoir pesé le pour et le contre, j'estime que mon intervention va être utile. Je ne sais pas s'il cherche quelque chose à dire ou n'a simplement pas envie de parler, alors je prends un risque. Mais, de toute façon, tout est bon pour alléger l'atmosphère, rompre ce silence, trop profond pour être agréable. Je déglutis légèrement, regardant autour de nous, en quête d'inspiration. Puis l'idée est là, et j'étire mes traits d'un petit sourire, me tournant tout à fait vers lui. J'espère que mon idée est bonne.

- Damon, c'était comment de construire cette ville ?

Je tâche de l'imaginer devant des plans, discutant, débattant avec d'autres hommes, les autres fondateurs d'Ordine, mais n'y parviens pas et secoue doucement la tête, me concentrant sur la version actuelle de l'homme qui me tiens compagnie. A-t-il changé ? Comment était-ce, à cette époque ? J'espère de tout cœur qu'il saisira le perche que je lui tends, mais me prépare éventuellement à monologuer, sait-on jamais. Je me mord la lèvre en pensant à cette éventualité. Après tout, discourir seule à propos d'une époque que je ne connais pas n'a pas de quoi me mettre à l'aise. Je le regarde, cherchant un indice de ce qui va se passer ensuite sur son visage obstinément tourné, hors de ma portée visuelle. Je choisie donc de balayer la place du regard, puis de m'offrir la contemplation du ciel, me demandant doucement comment a-t-il pu avoir l'idée d'un tel projet - à moins qu'on le lui ai simplement proposé ?

J'ai un mal fou à comprendre comment Damon a bien pu se retrouver embarquer dans toute cette histoire, car oui, je ne le vois pas spécialement décider de créer une ville. Quoi, alors ? Je ne m'imagine qu'un projet commun, mais je sais qu'il doit y avoir d'autres possibilités. Je me sens naïve d'avoir un moment imaginé Damon, crayon en main, créant de toute pièce cette ville. La plus soignée et calme de la région, par ailleurs. En y repensant, je trouve dommage que les quatre signatures ne soient accompagnées de rien. Pas même de petite histoire, de présentation des quatre hommes. Etrange.. Enfin, peut-être n'étaient-ils pas si méritant que cela ? Ca ressemblerait tout à fait au maire actuel de modifier les faits, pour que sa parfaite petite ville ait une histoire tout aussi parfaite... Mais Damon, lui, connaît l'histoire, et je ne doute pas, à son regard, qu'il va me la raconter. Il garde le silence un instant, préparant peut-être ce qu'il à a dire. Le silence dure et je comprends qu'il veux faire monter le suspense, me faire attendre. C'est donc ce que je fais, un demi-sourire sur les lèvres. Puis il se décide enfin à commencer :

- Tu sais, fonder une ville, ce n'est pas, au début, un choix. Quelques familles s'installaient dans la région et je m'y suis retrouvé mêlé, voilà tout.

Son ton est gentiment moqueur, et j'en arrive à sourire de ma propre naïveté. Je me demande ensuite comment a-t-il bien pu u être "mêlé"... Mais mon imagination n'est pas si fertile que ça, ce soir, et j'attends la suite sans plus de suppositions.

- Au début, nous ne faisions qu'une halte dans la région, mais avec les grosses chutes de neige de cette année-là, nous ne pouvions nous permettre de lever le camp et rester sous tente devenait délicat. Des cabanes ont donc été construites et une fois le passage possible, beaucoup n'avaient plus envie de continuer leur périple. Ces forêts se sont ensuite révélées fort propices à notre installation dans la région, et nous sommes donc resté.

J'hoche doucement la tête, l'incitant ainsi à continuer son récit, que je trouve formidable. Je n'aurais jamais pensé qu'une ville si.. pensée puisse être née par hasard. Quand on regarde les plans d'Ordine, tout est symétrique, calculé, soigné. Il me semble incroyable que tout soit parti de simples chutes de neiges. Mais c'est la vérité, j'en suis persuadée, et je continue d'attendre, mes avants-bras soutenant ma tête, tournée dans sa direction.

- Après cela, d'autres personnes nous ont rejoints, mais les noms qui figurent sur la liste, celle où il y a les fameuses signatures des fondateurs, ce sont les nôtres, les premiers installés. La population s'est vite agrandie, sans que je ne sache plus très bien pourquoi. À l'époque, les gens cherchaient constamment un meilleur endroit où vivre. À cause, principalement... des gens comme moi. Nous n'étions pas bien discret, autrefois. Mais donc, l'endroit est vite devenu un village, et nous avons décidé de construire peu à peu des infrastructures : des chambres d'hôtes, des tavernes, et tout ce genre de chose. Et quand il a fallu désigner quelqu'un pour gérer tout cela avant que cela ne dérape entre les habitants, délimiter les terrains et toute cette administration, les plus orgueilleux d'entre nous, et je te promets que ce n'était pas moi, se sont portés volontaires. Mais bien vite, nous avons compris que si nous ne les freinions pas un peu, la ville finirait en un champ de bataille sanglant, alors nous avons tous déposés nos signatures.

Sa promesse m'arrache un sourire et je tente de visualiser le village, puis la ville qu'elle est devenue. J'ai tout autant de mal à croire que le hasard a crée cette ville que des personnes s'y battaient. Du sang sur les pavés blancs d'Ordine ? Ca semble tellement incongru ! Et pourtant ! Je pense ensuite que.. Damon devait être vraiment discret, pour être choisit comme "fondateur" de la ville, étant lui-même une des "créatures" que ses habitants fuyaient.. Cette période n'a peut-être pas été bien simple pour lui... Mais l'est-elle seulement maintenant ? Je n'en ai aucune idée, et je suis loin d'avoir envie de connaître la réponse. Enfin, pas au moins de l'interroger à ce propos. Je devine qu'il a terminé de me parler d'Ordine, et décide de l'interroger...

- Damon, n'as-tu pas d'habitation, ici ?

J'ai déjà été chez lui, l'endroit est immense, magnifique, mais en pleine forêt, caché de tout ou presque. S'il est inscrit comme fondateur de la ville, n'a-t-il pas eu d'habitation, ici ? Ma logique voudrait que oui, mais je sais que la réalité peut-être tout autre. Je suppose qu'il a, pendant un temps, vécut ici... Mais je ne parviens pas à continuer l'histoire qui s'écrit dans ma tête, et me contente d'attendre, une moue intriguée sur le visage, à présent droite, seuls mes bras restant contre mes genoux.

Le froid commence doucement à se faire sentir, et je me demande quand mon paternel se rendra compte de mon absence, me cherchera - si ce n'est pas déjà le cas. J'en soupirerais presque : chaque minute fait s'approcher l'échéance. Mais je dois profiter de ces quelque instants volés, il ne sont que trop rares. Je me redresse légèrement pour mieux regarder Damon. On dirait qu'il est ailleurs, que l'évocation du passé de la ville l'a plongé dans ses souvenirs. C'est certainement le cas, aussi ne dis-je rien quand il ne me réponds pas tout de suite, attendant qu'il reviennent à lui. Ce qu'il fini par faire, assez rapidement. Il se tourne et mon regard rencontre le sien. Un léger sourire étire mes lèvres et Damon m'offre une moue qui me semble gentiment moqueuse - enfin, je ne peux que l'espérer !, avant d'examiner ma question.

- Je vivais dans une grande maison, à l'époque, et si elle est encore sur pied, son état doit laisser à désirer : je n'y ai pas mis les pieds depuis plus de cinquante ans.

Wow ! Cinquante ans ? J'oublie parfois qu'il est bien plus vieux qu'il n'y paraît. Je tâche de ne montrer ni ma surprise ni la gêne qui en découle. Je me sens idiote : comment oublier qu'il est si âgé, s'il à vécut si longtemps, a même fondé la ville ? Il faut être moi, apparemment. Je suppose alors qu'habiter près d'un endroit désert ou d'une forêt doit avoir ses avantages : pas de voisins gênants pour parler de vous, pour vous regarder. Qui ne verrait pas, sur le long terme, qu'il ne change pas ? Je ne l'imagine pas une seule seconde se déguiser, tricher et se vieillir pour faire taire tout ce beau monde. Mais, partir, tout - ou peut-être pas, qu'en sais- je ?- laisser : la maison, cette vie, les connaissances.. C'est extrême, mais nécessaire. Je me demande s'il a dû le faire souvent. Bien que je ne sois pas sûre de véritablement désirer une réponse. Réponse qui ne pourrait que me rendre triste pour lui, même s'il n'a pas l'air de l'être. C'est peut-être une question d'habitude, de nécessité, de tempérament ou.. Ou alors, il n'avait pas grand chose à laisser derrière lui. C'est une possibilité. Et moi ? Aurais-je du mal à tout quitter ? Je pèse le pour et le contre un instant, avant d'en conclure que.. Ma réponse aurait tendance à dépendre du jour, des circonstances. Comme quoi.

- Tu penses que c'est resté à l'abandon ?

Quelqu'un a peut-être reprit sa maison.. Ou cette dernière a été détruite pour laisser place à autre chose. On est tellement soucieux de l'apparence des choses, dans cette ville ! Je m'imagine cette grande maison, le regard levé vers le ciel. Grande, majestueuse, peut-être. Puis le vent et la pluie s'en occupent, le temps lui prend son dû. Hum.. Peut-être est-elle toujours debout ? J'espère, dans mes chimères, la trouvée inchangée ou presque, toujours sur pieds, souvenir du passé, ancrage vers le présent. Pour cela, il faudra qu'elle ne soit pas située sur un des axes principaux actuels de la ville. C'est loin d'être gagné, donc.. Mais j'espère quand même, et me demande silencieusement si sa demeure actuelle ressemble à l'ancienne. Peut-être pas, les goûts, les façons de faire évoluent, d'une génération à l'autre.. Construire une maison neuve dans un ancien style aurait-il pu être mal vu ? Je ne sais pas et n'y ai pas encore réfléchi que mes pensées m'emportent plus loin.

Le vent se fait plus frais et je ramène mes genoux contre moi, sans quitter des yeux Damon, qui me semble prit dans ses pensés. Je respecte son silence et laisse mon regard divaguer sur la salle du bal. Je me demande si la personne que j'ai abandonnée me recherche, si mon père le sait et me cherche, lui aussi.. M'abandonner a cet inconnu était une des pires idées qu'il ait jamais eues ! Qu'avait-il cherché à faire ? Me.. Me marier ? Je fronçais les sourcils. Quoi, j'étais un animal à vendre, maintenant ? Ma seule certitude était qu'il n'était pas prêt de réussir à me marier, oh non ! Cependant, je me calmais bien vite. J'étais encore jeune, peut-être "tâtait"-il seulement le terrain ? Je l'espérais, sans pouvoir vraiment l'accepter. Dans un cas comme dans l'autre, la pression montait, le temps jouait en ma défaveur. Je soupirais, posais ma tête sur mes genoux. Cette vie n'était décidément pas faites pour moi, qu'importe le sens dans lequel je prenais les choses. Mes yeux suivirent les contours de la lune pour finalement redescendre et admirer le profil de mon interlocuteur, mon observation m'arrachant un petit sourire. Au moins avais-je un élément positif, dans tout ça.

- Oui, très certainement. Elle m'appartient encore, tu sais. Je comptais la vendre après avoir réglé quelques affaires mais... je ne suis jamais revenu pour le faire. Je ne sais pas très bien pourquoi d'ailleurs... Peut-être n'avais-je simplement pas la force de vendre tant d'heure de travail à un simple passant qui déciderait de s'installer tranquillement dans le coin. Peut-être même que je suis plus sentimental que je ne le crois, va savoir !

Mon sourire se fit plus franc et je me redressais, lissant le bas de ma robe. Damon, sentimental ? Pourquoi pas ! Son rire se voulait moqueur, mais ne collait pas avec ses mots, me laissant sourire. Sa demeure était donc encore sur pieds.. Ma curiosité s'en voyait ranimée, des images de bâtisses abîmées se succédant dans mon esprit.

- Je t'y emmènerai, si tu le souhaite.

Mon sourire s'agrandit encore, et je demandais :

- Quand ? Tu penses que.., je vérifiais que nous étions bel et bien seuls, et poursuivais. Qu'on pourrait y aller, maintenant ? Si.. Si ça ne te dérange pas, bien sûr. J'ajoutais, après une hésitation, le regard fixé vers la salle. Et si ce n'est pas trop loin..

J'étais si emballée par l'idée que mon vague-à-l'âme me semblait oublié, surpassé depuis bien longtemps. Il n'y avait plus mon père, ces étranges présentations, ces bals et visites officielles, mais juste Damon et moi. Et une ballade nocturne en prévision..