Ces derniers jours, il avait plut, et, malheureusement pour moi, l'interdiction d'aller en forêt était tombée. Je m'étais rabattue sur la bibliothèque, profitant de sa chaleur et des odeurs de vieux cuirs qui me plaisaient tant. Mais évidemment, une bibliothèque reste plus fréquenté qu'une forêt, du moins je trouve. Alors, dès que le temps fut plus clément, je ne ratais pas l'occasion de faire ma balade quotidienne. Et me voilà maintenant en forêt, sentant l'herbe encore humide de la veille et de la nuit. L'air est frais, mais je me suis couverte en conséquence, donc je n'ai pas vraiment froid. Et puis, de toute façon, je suis trop contente de pouvoir reprendre ma balade matinale pour m'occuper de si petits détails ! Le ciel est bleu, et, après ces jours de grisailles, cette teinte me donne le sourire. J'ai l'impression d'avoir été privée de ces moments pendant si longtemps ! Souriant pour moi-même, je bifurque, suivant les sentiers avant de m'enfoncer un peu plus, hors des chemins de terre-battue. J'aime le calme de la forêt, les petits bruits des animaux. Je ferme les yeux un instant, expire. Cette journée commence bien ! Rien de mieux qu'un peu de calme et de sérénité pour que tout aille bien. Commençant à penser à d'autres choses, je m'égare dans mes pensées, marchant machinalement, sans vraiment y prendre garde, et me retrouve à une intersection. Plissant les yeux, je cherche un instant à me repérer et me situe. Le soleil est haut dans le ciel, maintenant. Passant au dessus d'un petit buisson, j’aperçois, plus loin, une femme. Ah, je ne savais pas que d'autres personnes passais par là. J'aimerais faire demie-tour pour la laisser tranquille, mais, ne connaissant pas de chemins plus rapides pour relier le sentier principal et être assurée de ne pas me perdre, j'avance, me faisant discrète pour ne pas la déranger plus que ça. Comme elle est de dos, elle ne me vis pas arriver, au moment où je passais à moins d'un mètre d'elle, quelque chose se produisit. Quelque chose d'étrange. La femme se changea en loup. Un loup au pelage gris sombre. Un loup qui me regardait de ces yeux bleus. Un hoquet d'étonnement m'échappa, tandis que je réfléchissais à toute allure. Une loup-garou ? Pourquoi ces choses-là n'arrivaient que quand je ne m'y attendais pas ? Laissant tomber cette pensée plutôt fataliste, je la regardais, n'y croyant qu'à demie. C'était la deuxième fois que je voyais un loup-garou, je n'étais pas vraiment habituée. Et puis.. Que me ferait-elle ? Grégory, lui, ne m'aurait et ne me ferait rien, c'était certains. Mais elle ? Sans la quitter des yeux, je tentais de la jauger. Mais dans ces yeux bleus, je ne trouvais rien. Rien de bon me concernant, en tout cas. Me tournant subitement, je me mettais à courir. Courir aussi vite que je le pouvais, tout en essayant de rejoindre le chemin principal où, peut être, je croiserais quelqu'un. Je n'osais pas me retourner, de peur de la voir. De peur de voir qu'elle ma rattrapait, ou pire encore.. Frissonnant, je continuais de courir sans trop savoir où j'allais, vaguement consciente qu’elle devait mieux connaître la forêt que moi et que continuer a emprunter les chemins que tous connaissaient n'étaient pas forcément prudent. Pour moi, et les rencontres que je pourrais y faire... Tournant alors pour m'enfoncer dans la forêt, pensant à ces innocents qui pourraient être blessés par ma faute. Mordant ma lèvre, je me rendais compte que j'étais complètement perdue.. Je m'arrêtais un instant regardais à droite, à gauche, paniquée...

Sans perdre de temps, je passais par la gauche, qui débouchais sur une petite clairière, d'où je saurais repartir. Je soupirais, je n'étais plus perdue.. Mais un bruit me rappela à l'ordre et je trébuchais. La première chose que je vis en me retournant fut une truffe grisonnante, sombre. Et deux yeux bleus. Je déglutissais difficilement, n'osant plus bouger. Qu'allait-il se passer ?

J'étais paniquée, inquiète au possible. La louve -oui, j'étais persuadée que c'était une femme- me regarda. Son regard n'était pas menaçant -pas pour l'instant ?-, mais je ne parvenais pas à comprendre la situation, ou pas vraiment ni à interpréter ces gestes. Je me redressais à demie, doucement. Cette louve avait de magnifiques yeux bleus, mais ils ne me terrifiaient pas moins. Mais, contrairement à ce dont je m'attendais.. La scène que j'avais vu défiler devant mes yeux dans d'innombrables cauchemars ne se produisit pas..

- Qui es-tu ? Et que fais-tu seule en forêt ? L'endroit n'est pas sûr.

Relevant les yeux vers ceux de mon interlocutrice -sa voix ne laissait pas de doutes-, je me détendais légèrement, au moins, elle n'avait pas l'air de vouloir me tuer, ou au moins pas tout de suite, si la chose pouvait me consoler. Ce qu'elle faisait, en un sens. Plissant les yeux, je répondais, me demandant pourquoi posait-elle cette question ? A-t-on besoin d'une raison pour aller en forêt ?

- Amanda Warren. Je me balade..

Le mot "balade" sonnait étrangement mais c'était vrai, non ? Je passais pas mal de temps en forêt qu'elle s'appelle "Flamboyante" ou "Sombre", d'ailleurs. Enfin, qu'aurais-je pus dire d'autre ? Rien, je me cantonnais à la vérité. Mais, avant que je n'ajoute autre chose, elle enchaîna;

- Bon, je vais mettre fin au suspense ; je ne te tuerais pas.

Là, mes sourcils se froncèrent. Pourquoi m'avoir coursée, pourquoi toute cette mascarade, si elle n'était animée que de bons sentiments ? Je ne parvenais pas à comprendre. Pas encore, ajoutais-je, voulant me rassurer. Et à vrai dire, ça marchait. Un peu, rien qu'un peu, mais c'était déjà ça.

- Et toi, qui es-tu ?

Impossible de continuer comme ça sans avoir un prénom, au moins, non ? Si elle ne voulait pas me tuer -ce que j'encourageais, la chose étant une sage décision-, elle pourrait me répondre, et ce sans aucun problème, non ? Non, peut être pas.. Enfin, j'attendais tout de même ma réponse, voulant mettre un nom sur cette personne qui pour l'instant était une louve. Mais plus pour longtemps car, bientôt, elle reprit une apparence humaine. Me relevant tout à fait, je croisais un regard noisette. Un regard tout ce qu'il y a de plus humain. Si bien que je ne savais plus quoi penser. Ne me voulait-elle vraiment aucun mal ?

Je ne parviens pas tout à fait à me défaire de mon impression de malaise. Quelque chose ne va pas, je ne comprends pas assez la situation, pas ce qui se joue ici - peut-être bien ma vie. Je déglutie, ne comprends pas son comportement. Je me ses à découvert sous son regard - en danger. Je n'arrive pas à la croire, me méfie. Si son visage paraît plutôt doux, son attitude est loin de l'être. Une part de moi se dit que je réfléchis bien trop, qu'elle ne me fera pas de mal, puisqu'elle l'a dit. L'autre s'affole de plus belle, me rappelle d'autres situations, d'autres menteurs. Je déglutie, me dis que mon état ne peut pas m'aider. Je n'ai rien à me reprocher, tout devrait bien se passer. Son expression ne se montre pourtant pas rassurante. Je déglutie, m'exhorte au calme.

- Aurore Storming.

Sa voix est glaciale, presque coupante. Ce qui me fait penser qu'elle dit bien la vérité - en tout cas sur ce point-là. Bon. J'ai enfin un prénom à associer à sa voix, à son visage. C'est un début. Aurore ne semble pas aimer parler d'elle, ce que je peux comprendre, oui, mais n'apprécie pas spécialement. Je ne souhaite pas véritablement rester dans le flou, souligne au moins qu'elle s'est exécutée, malgré une mauvaise grâce évidente. Ce qui fini par jouer en sa faveur. Son comportement change rapidement et je la découvre plus.. hésitante que menaçante.

- Hum... Tu ne... diras rien, à propos de moi... hein ?

Je décèle presque de la vulnérabilité dans son ton, quelque chose de plus doux. Mes défenses tombent, j'hoche la tête. A qui en parler ? Pourquoi ? Je ne vois que deux possibilités : mon internement ou sa mort. Ni l'une ni l'autre ne me font envie. Si elle me laisse vivre, je n'ai aucune raison de ne pas lui rendre la pareille. Je finis par vocaliser mon avis sur le sujet :

- Non, pourquoi est-ce que j'en parlerai ?

Ce n'est pas comme si elle avait menacé de me retrouver, ou que sais-je. Je n'ai rien à y gagner, n'en ai pas non plus le désir ou le plan. Mon regard se fait plus curieux, je ne peux pas m'empêcher de sympathiser, quelque part, avec elle. Je lui déduis plusieurs drames, une vie compliquée - pourquoi vivrait-elle cachée dans les bois, sinon ? Peut-être aussi de la solitude, un nombre conséquent de trahisons. Je suis désolée pour ce qu'elle a vécu, pour ce que je ne sais pas, lui souhaite en silence quelque chose de mieux.