Le temps avait passé. Les jours avaient défilés, s'alignant bien sagement. Aurore ne savait toujours pas comment prendre les récents évènements. Mais les sentiments s'étaient peu à peu tassés. Odalys était morte. Elle ne pourrait rien y faire. Elle n'avait pas vu son fantôme, alors peut-être qu'elle avait trouvé un endroit meilleur... Elle l'espérait pour son amie. Quant à elle... C'était une autre histoire. Elle n'était pas sûre d'être toujours en colère contre Johann, pourtant elle se raccrochait à ce sentiment comme à une bouée de sauvetage. Malgré tout, elle avait entamé des recherches. Cette histoire de malédiction, de personnalités, ça la taraudait. Alors elle avait finit par recueillir quelques livres à la bibliothèque depuis deux ou trois jours.

Aujourd'hui, elle lisait au fond de la bibliothèque, recroquevillée dans un fauteuil. Il faisait bon chaud, ici, contrairement à la Tanière. Elle s'y sentait à l'aise. Elle avait déniché un livre parlant de Loup aux yeux rouges. Elle s'était dit qu'elle y trouverait sans doute quelque chose. Elle avait même exploré des pistes par rapport au Diable et aux possessions possibles, étant donné que Johann ou sa personnalité (peu importe) parlait souvent du Diable. Elle avait trouvé des choses intéressantes, mais elle avait parfois un peu de mal à y croire. Y'avait-il vraiment une toute petite chance pour que le Diable ait pris possession du corps de Johann ? Elle en doutait. Elle avait tout d'abord fait des recherches par rapport aux personnalités de Johann et la malédiction. Elles avaient été plutôt fructueuses. Elle savait qu'un sorcier avait lancé cette malédiction sur sa famille il y a longtemps et que les personnalités descendaient dans la lignée.

Aurore sursaute, prise au dépourvu, et manque de lâcher son livre. Ses yeux se posent sur Johann, entre la surprise et un semblant de colère. Elle fronce les sourcils, méfiante. À qui a-t-elle affaire, au juste ?

On a déjà trouvé meilleure approche, ça, c'est clair. Mais la Louve ne prend pas de pincettes avec lui. Il ne les mérite pas.

Johann baisse la tête et s'assoit en face d'elle, les mains sur la table. Cela ne rassure qu'à peine Aurore qui se méfie légèrement. Lorsqu'elle surprend son regard sur le livre qu'elle lit, elle s'assure d'un rapide coup d'oeil qu'il ne pourra pas en lire le titre en le tenant dans un angle précis. Elle ne tient pas à s'attirer quelques foudres des autres personnalités.

Aurore acquiesce d'un hochement de tête. Elle n'a pas besoin qu'il les retienne. Elle n'a même pas besoin de lui parler. Elle aurait presque préféré qu'il s'en aille. Au moins jusqu'à ce qu'elle sache à quoi s'en tenir avec ses personnalités de malheur.

Sa voix était faible. Son regard vide empreint d'une infime... tristesse ? Elle ne répond d'abord pas. Elle ne sait pas quoi dire. Elle le sait. Mais peut-elle le dire sans risquer d'énerver les autres personnalités ? Elle se mord la lèvre.

Elle ne précise pas comment elle le sait. Elle ne veut pas évoquer son don avec lui. Ça ne le regarde pas. Mais des âmes avaient déjà évoqué le Diable en sa présence. Pas de façon très précise, mais elle reconnaissait son existence, au moins.

Un instant, Johann ferme les yeux. Pour une fois, il ne sourit pas. Enfin, son corps ne sourit pas, disons, puisqu'elle ne sait à qui elle a parlé dernièrement...

Il regarde ses mains, mais Aurore acquiesce d'un signe de tête. Elle remarque les yeux embués de larme mais ne dit rien, respectant son silence. Il continue enfin :

Soupire. Aurore ne répond pas. Elle n'a rien à répondre. Elle n'a jamais été confrontée à ce genre de choses et elle n'a pas vraiment le coeur à l'aider comme ça, avec empressement. Même si ce n'était pas Johann qui avait tué Odalys, ça lui restait en travers de la gorge.

Elle voulait surtout savoir si le Diable le connaissait ou pas, en fait. Mais elle ne peut pas lui poser la question comme ça, alors elle la pose à Johann. S'il est au courant, le Diable doit aussi l'être et s'il l'ingore... Elle devrait chercher.

Johann ouvre la bouche, puis la renferme, comme s'il ne trouvait rien à redire. Il ne prend la parole qu'ensuite :

Aurore ne cille même pas. Il n'a même pas l'air gêné de ses paroles. La mort ne l'effraie pas. Et quelque part, si c'est une solution et que le Diable devient un réel problème, elle n'hésiterait pas vraiment. Les Loups sont des protecteurs. Ils sont là pour protéger les humains. Ce serait son devoir de le tuer, si le Diable devient dangereux. Et son avis ne compterait pas. Il n'a jamais compté. Elle baisse légèrement les yeux, juste une seconde. Johann se détourne, regarde par la fenêtre avant de continuer :

Aurore grimace légèrement. Ce n'est pas le genre de solution qu'elle envisage. Il y a toujours un moyen. Aucun sortilège, aucune malédiction, si puissants soient-ils, ne sont irréversibles. D'une manière ou d'une autre, on peut toujours lutter. Et simplement le mettre en sommeil ne lui suffit pas, quelque part. Elle est presque sûre que si le Diable le désire, aucun sortilège ne peut le retenir bien longtemps. Non, il fallait le renvoyer d'où il vient. Johann soupire.

La jeune fille hausse les épaules. Pas plus qu'une autre, très cher. Elle est différente, c'est tout. Elle conclut, d'une voix ferme pour lui montrer à quel point elle est sérieuse, espérant que, quelque part, cela le rassurerait un peu :

Drôle de réconfort, n'est-ce pas ? Mais il accepte la mort, elle l'a bien senti. Sauf qu'il n'est pas responsable des actes du Diable. Alors autant essayer d'éviter pareille extrémité, non ? Sa dernière phrase est véridique pour les Loups Firosias en général, mais avant tout pour elle. Elle ne veut pas se rabaisser à ce niveau. Et son caractère la pousse à d'abord chercher une solution. Et à ne le tuer qu'en tout dernier recourt. Cependant, ne sachant pas à quel point il parvient à maîtriser ses personnalités, elle se garde de lui avouer qu'elle allait chercher une solution pour l'aider.

Johann acquiesce, puis ferme les yeux quelques secondes. De longues secondes. Aurore fronce les sourcils. Il ne s'est quand même pas endormi, hein ? Il rouvre les yeux, explique :

Aurore plisse légèrement les yeux. Il a tué son amie. Pourquoi lui ferait-elle des concessions de la sorte ? Lorsque Johann soupire, son air est devenu froid. Malgré tout, il la regarde avec une certaine douceur, elle le voit bien.

Elle serre les dents. Elle n'est pas idiote non plus, elle s'en rend compte. Ce n'est pas un monstre quand même ! Quelqu'un de moins patient l'aurait tué tout de suite, elle, elle lui offrait une chance.

Son ton est glacial. Elle se lève, ramasse ses livres et s'éloigne sans demander son reste. Il a tué Odalys. Il ne mérite pas sa clémence. Elle le renverrait en Enfer. Il l'a cherché.

Son pas franc, décidé, résonne dans le silence de la bibliothèque. Tout à coup, elle entend les griffes racler le sol, elle s'accroupit brusquement, sans doute plus par réflexe que parce qu'elle a deviné l'acte irréfléchi du mâle. Sous sa forme de Loup, il bondit au-dessus d'elle et s'éloigne. Sur son passage résonnent quelques cris surpris, angoissés, voire terrifiés. Aurore gronde légèrement, se redresse. Parmi les gens désemparés et horrifiés, elle s'avance, calme, implacable. Elle dépose les livres sur un charriot, laissant la bibliothécaire se charger de les ranger lorsqu'elle se serait remise de ses émotions, et quitte la bibliothèque. Cette fois, elle allait devoir trouver des sorciers elle-même. Parce qu'elle était bien décidée à en finir avec ce Démon.

Elle lui ferait regretter son geste. Elle l'avait mis en garde, il savait ce qui arriverait s'il faisait du mal à Odalys. Mais il en avait fait quand même. Il mérite donc ce qu'elle s'apprête à faire. En fait, il mériterait pire. Mais elle ne sait pas comment tuer un Diable alors autant le renvoyer en Enfer... !