Les pattes martèlent le sol. Parmi les cris et quelques aboiements de chiens, Aurore s'enfuit, entraîne les hommes sur une fausse piste. Ces imbéciles s'étaient mis en tête de chasser la Louve, après sa petite apparition à Straunbourg, même si elle n'avait causé aucun tort. Pour eux, un Loup qui ose s'aventurer en ville est un Loup dangereux qui osera s'en prendre à l'homme... Imbéciles.

De peur qu'ils ne tombent sur Lanawyn ou sur un autre Loup innocent, elle avait préféré essayer de les entraîner vers le Sud, en direction des montagnes. Mais elle n'avait pas pensé que les hommes étaient assez intelligents pour l'enfermer dès le début dans une énorme chaîne humaine. Lorsqu'elle a largement dépassé le Vieux Chêne, elle découvre réellement dans quel pétrin elle est. Suivie d'une dizaine d'homme à qui elle voulait faire croire qu'elle quittait la région, elle est tombée sur une patrouille d'environ cinq personnes armées de fusils. Aussitôt elle avait fait volte-face, s'était enfui sur la droite. Un coup de feu l'avait manqué de peu. Grondant de frustration, elle filait à présent ver l'est, en direction de la Montagne Fabrice. Elle pourrait certainement les semer dans les hauteurs. Elle est bien plus endurante qu'eux, après tout. Hélas, en arrivant près des chemins de fer, elle découvrit avec horreur une nouvelle patrouille. On l'encerclait déjà !

Grondant, elle avait aussitôt obliqué mais quelques mètres plus loin, encore des humains ! Elle était encerclée. Et l'étau se refermait lentement sur la Louve qui cherchait une issue en longeant les différentes patrouilles armées soit de vieux outils de paysan, soit de véritables fusils, accompagnés parfois de gros chiens qui ne se laissaient pas duper par la Louve.

Grondant, la Louve cherche une issue, évitant les patrouilles souvent de justesse, trop empressée pour prendre la précaution de les écouter avancer avant de se jeter dans une direction. Elle était encerclée, ou pas loin de l'être, et chaque seconde qu'elle perdait à tomber sur une patrouille offrait une chance aux humains de fermer le cercle, si cercle il y a réellement et si, d'ailleurs, il a encore besoin d'être fermé.

Soudain, ses oreilles se dressent, attentives avant de se coucher sur son crâne en reconnaissant la voix. La tête dans le prolongement du corps, les muscles tendus, elle n'a pas du tout l'air ravie de l'entendre.

D'un grondement, elle lui signifie que ce ne sera pas nécessaire. Aucun chien ne peut la pister si elle le souhaite. Cependant elle saute sur l'occasion, pas reconnaissante pour un sou. Elle se jette dans l'ouverture, sans même jeter un seul regard au buisson qui, elle l'a deviné, cache le mâle. Elle l'ignore royalement. Il ne mérite même pas son coup d'oeil. Et la Louve s'enfuit. Dès qu'elle le peu, elle remonte le ruisseau pour brouiller la piste. Elle n'a pas besoin qu'on l'aide. Elle sait se débrouiller seule. Qu'est-ce qu'il croit !? Grondante de colère, elle suit le cours d'eau. Au lieu de se cacher en montagne comme il lui avait dit de le faire, elle suit le ruisseau qui se jette dans une rivière au lit tranquille. De là, elle pourrait rejoindre sa Tanière si elle le voulait, mais elle préfère suivre le courant jusqu'aux Ruines, à quelques centaines de mètres de la berge. Elle pourrait s'y cacher sans que personne ne puisse suivre sa piste. Pas même cet imbécile.

La Louve bondit hors de l'eau sur la berge. Elle file vers les Ruines, brouillant ses traces en même temps. D'un trot rapide, la Louve se glisse dans un ancien terrier de blaireau, sous la Chapelle, qui rejoint une partie de l'ancienne cave. Sa petite taille lui permet de s'y glisser sans trop de difficulté. Elle se roule en boule dans le noir, le coeur battant. Haletante, immobile, silencieuse, elle tend l'oreille. Personne ne pourrait suivre sa piste, pas vrai ?

Des pas. Le coeur de la Louve tambourine dans sa poitrine. Elle cache son museau sous sa queue, comme si cela pouvait l'aider. Elle reconnaît malgré elle le rythme de ces pas-là. Leur poids aussi. Leur impact sur le sol. Elle fronce le nez. La colère serre son coeur dans un étau de fer. Fidèle amie. Elle l'écoute abandonner ses armes, apparemment. Elle ferme les yeux. Comme si elle avait pu disparaître. Il s'approche. À une bonne distance du terrier, il s'assied. Le coeur de la Louve se démène, furieux. Le souffle rendu irrégulier par la colère et des semblants de sanglots étouffés devient légèrement rauque, presque guttural. Ses membres tremblent. Ses muscles se raidissent. Si elle n'avait pas deviné qu'elle ne faisait pas plus le poids que la veille, face à lui, elle se serait sans doute jetée à sa gorge.

Aurore gronde. Sa voix chargée de colère et de menaces, furieuse, lui répond sèchement.

Elle ne sortirait pas de son trou. Elle ne veut pas le voir. Qu'il la laisse en paix ! Il en avait assez fait ! Il avait tué son amie, était-il nécessaire qu'il lui rappelle à quel point elle avait été impuissante ? À quel point elle était faible ? Elle gronde. Un grondement de colère empli de tristesse et de frustration, cette fois.

Aurore l'écoute sans l'écouter. Il arrache une fleur et en arrache les pétales, doucement. Une odeur de sang lui parvient. Imbécile.

▬ Je... Je sais que ce que j'ai fait est mal... Aurore couche les oreilles. Elle ne veut pas l'entendre continuer. Je sais que c'en est au point que tu veux me tuer. Mais ce n'était pas moi. Tu sais la malédiction qui pèse sur moi et je ne pouvais rien faire... J'ai enterré Odalys, je ne supportais plus de regarder son corps sans vie au sol... Je suis un monstre... Et pourtant je t'ai sauvé la vie aujourd'hui, un chien te suivait de très près, comme j'ai rendu les patrouilles perdu par d'autres traces, et j'en ai neutralisé deux pour que tu puisses t'échapper parce que tu étais encerclée...

Elle ne répond pas. Même son souffle est devenu imperceptible. Au point de douter qu'elle soit encore dans le terrier. Peut-être s'est-elle enfin volatilisée ? Téléportée ? Elle garde le silence. C'est bien facile de rejeter la faute sur une malédiction, c'est bien facile. Mais son coeur saigne. Elle n'a déjà perdu que trop d'êtres chers. Devait-il vraiment en supprimer les derniers ? Et venir lui rappeler à quel point elle est incapable de les protéger ?

Seul un silence de plomb lui répond. Elle se lève lentement. Se glisse hors du terrier. Il lui tourne le dos. Aurore l'observe une seconde. L'espace d'un instant irréel, le bourreau contemple sa victime, droit et fier. Elle lui saute dessus en le contournant de sorte à ce qu'il tombe sur le dos. Elle le plaque au sol, ses crocs claquent près de sa gorge. Elle gronde, crocs découverts.  

Ses derniers mots se perdent dans un grondement mêlé de douleur. Ses crocs claquent à nouveau près de la jugulaire. À un millimètre à peine. Ses yeux flamboient de colère. Quelques larmes y brillent sans doute, aussi. Et elle se détourne. Le libère et s'éloigne. Elle en a fini avec lui. Il ne mérite rien de plus que ses avertissements. Histoire qu'il sente la chose venir. Qu'il regrette de ne pas l'avoir écoutée. Elle n'est pas rancunière. Mais pour Odalys, s'il le faut, elle tuerait ceux qui lui sont chers. Pour la venger. Pour se venger.