Silence. Pas ce silence pesant lorsque les oiseaux se taisent et que le vent ne souffle pas... Non, ce silence tranquille des forêts, troublé par les chants et les craquements, les bruissements et les gratouillements divers et variés. Le silence de la vie, tout simplement. Le silence de la respiration lente et régulière de la nature. Attentivement écoute la Louve lorsqu'elle s'avance dans son domaine. Ses pas sont silence, malgré sa forme humaine. L'élégance de sa démarche ne trahit rien de son chemin. A-t-elle seulement un but ? Elle ne le semble pas. On pourrait croire qu'elle veille sur les lieux, simplement. Patrouillant au alentours de sa tanière dans le seul but de porter un oeil protecteur sur ses bois et ses forêts, ou tout simplement sur les siens. Enfin, la sienne, à présent, puisque Lanawyn est tout ce qui lui reste depuis le départ de Jacob. Lanawyn qui grandit vite, trop vite... L'heure fatidique d'un départ prochain s'annonce au rythme fou de sa croissance démesurée. Elles ne prendront pas le risque d'être percées à jour par les humains. Elles ne prendront aucun risque, tout simplement. Lorsque le besoin se fera sentir, Aurore se lèvera un matin, de bonne heure, étirera ses muscles, réveillera Lanawyn et elles partiront flanc contre flanc dans le gris du monde. Tout simplement. Mais l'heure présente n'était pas au départ. Juste à la balade sans but d'une âme en peine.

Et puis les ruines se dessinent sur le chemin, vaillamment dressées vers le ciel. Enceintes endeuillées d'une vie oubliée. Et avec elles naît une désagréable impression. La Louve plisse légèrement les yeux. Elle s'avance encore, prudente, les muscles tendus, tous ses sens en alerte. L'impression désagréable d'être observée. Analysée. Elle se raidit. Ne montre rien de sa gêne, continue, déviant légèrement de trajectoire. Elle semble tout à fait innocente. Mais lorsqu'elle passe près des premiers buissons, que la sensation disparaît un instant, dissimulée, visiblement, aux yeux d'un observateur quelconque, elle bondit dans les fourrés, sans un bruit, sans être vue, prenant sa forme lupine. Elle s'élance, silencieuse. Seul indice que quelque chose ne va pas comme prévu pour son observateur ? Le fait qu'elle ne ressurgisse pas de l'autre côté des buissons.

Et puis c'est déjà trop tard. Elle bondit, gronde, découvre ses crocs vengeurs et ses pattes percutent enfin la cible. Entraînée dans l'élan et aidée de l'effet de surprise, elle parvient à déstabiliser l'homme qui se trouve là, sans pour autant le faire tomber. Un coup précis, juste pour lui dire "Prends garde, je ne suis pas une louvette sans défense", et puis dès que ses pattes retouchent terre elle fait volte face, crocs découverts, pelage hérissé, un grondement sourd dans la gorge. Elle est prête à en découdre. D'ailleurs, elle a également identifié une nature lupine, ce qui ne l'a point fait hésiter sur l'attitude à adopter. C'est une alpha et elle ne s'en cache qu'à peine, préférant adopter une attitude simplement défensive plutôt que celle offensive des dominants cherchant à montrer leur rang. Sa voix glaciale tranche l'air, mêlée à un grondement :

Un grondement roule dans la gorge de la louve, menaçant. Tous ses poils hérissés, les babines retroussées sur ses crocs et ses muscles bandés trahissent la tension qui parcourt son corps. Elle est prête à en découdre. Pas qu'elle soit particulièrement bagarreuse, non, mais ce loup l'observait avec insistance, dissimulé, et elle souhaitait savoir pourquoi. De plus, la tanière, et avec elle, Lanawyn, n'est pas si loin que cela, et Aurore se doit de la protéger. C'est son territoire. Ou quelque chose en approchant, du moins. Par conséquent, tout son être trahit sa capacité à réagir au moindre mouvement suspect. Sa langue passe sur ses crocs, tandis que ses mâchoires tremblent sous le grondement. Pure menace, certes. Mais l'inconnu ne réagit qu'à peine. Si ses yeux se posent certes sur elle, rien en lui ne démontre une quelconque hostilité. Il se contente, après quelques secondes, de retirer lentement sa veste, découvrant son torse le plus naturellement du monde devant les menaces de la Louve. Celle-ci ne réagit pas, pas plus que devant les os qui commencent à craquer lorsqu'il se métamorphose.

Il est grand. Pelage flamboyant, roux noir. Et lorsqu'il ouvre les yeux, Aurore n'en croit tout simplement pas les siens.  Les yeux écarquillés, la Louve ne bouge pas. Son grondement s'est étranglé en remarquant ce détail, son souffle, coupé. Son coeur rate un battement, puis s'emballe, irrémédiablement fou. Deux améthystes luisent au soleil. Deux yeux violets. Désemparée, elle scrute l'inconnu sans bouger, clignant légèrement des yeux. Ahurissement dans son regard bleu océan. La gueule légèrement entrouverte, elle cherche son souffle, tente de calmer son coeur, rassembler ses pensées... Sans y parvenir.

Pour seule réponse, elle émet une sorte de petit gémissement lupin, comme pour le supplier de lui expliquer. Comment était-ce possible ? Elle pensait... Elle pensait être la dernière, pourtant... Comment... ? Y'en a-t-il d'autres ? Cachés ? ...Mille questions tourbillonnent dans son esprit, se mêlant et s'entremêlant en noeuds compliqués qu'elle est incapable de démêler. Mille questions qu'elle souhaiterait poser... Mais elle se contente de demander d'une petite voix, dans un murmure à peine audible, dans un souffle plein d'espoir et pourtant, provenant de celui qui n'ose y croire :

Excusez-lui son manque d'attention évident... Ou plutôt l'expression d'une surprise sans nom. Tentant de rassembler ses esprits, elle reprend d'une voix plus claire, plus intelligible, pleine d'espoir dans ses questions :

Et pour la première fois depuis longtemps, dans ses yeux brillait l'espoir.

Il hésite. Garde le silence. Les questions de la Louve semblent le déranger et pourtant, elle ne pensait pas à mal. Elle espérait réellement qu'il connaissait d'autres survivants, peut-être même une Meute... Elle espérait réellement découvrir qu'ils n'étaient pas les derniers, tous les deux. En cent ans, il était le premier qu'elle croisait... C'était plus que ce qu'elle avait osé espéré. Elle avait renoncé, autrefois. Elle s'était fait à l'idée... Et maintenant ? S'il existait encore une Meute ? Que ferait-elle, elle ? La belle Alpha ? Alpha qui, désormais, n'était plus qu'une solitaire, une esseulée... Et puis enfin il répond.

Alors c'était tout ? Ils découvraient qu'ils n'étaient pas les derniers de leur espèce et c'est tout ce qu'il répondait ? Oui et non ? Oui quoi ? Et non quoi ? En connaît-il d'autres encore en vie ? Ce n'était clairement pas une réponse. Et cela ne satisfaisait pas la Louve qui plie légèrement les oreilles, un peu blessée peut-être qu'il ne partage pas le sentiment d'allégresse qui s'emparait d'elle tandis qu'elle se rendait compte que, peut-être, quelque part, les Loups Firosias survivaient encore. D'ailleurs il se détourne. S'éloigne. Reprend sa forme humaine, abandonnant là sa veste, sans un mot, sans un au revoir. Aurore est désorientée. Un peu blessée, un peu coupable aussi. Elle a dû faire quelque chose de travers, dire ce qu'il ne fallait pas... Mais quoi ? Était-ce un souvenir désagréable lié aux vampires ? Ont-ils tué sa Meute ? Le traquent-ils ? Ni une ni deux, la petite Louve s'élance au petit trot pour lui emboîter le pas, la tête légèrement basse, le regardant par en-dessous avant de venir se placer à ses côtés tout en l'interpellant :

Elle évite son regard au début de ses propos, puis, sur la fin, lève ses yeux bleus sur lui, sans toutefois le regarder vraiment en face, plutôt du coin de l'oeil, à la manière des loups. Puis elle s'arrête, lui montrant clairement qu'elle ne le suivrait pas s'il n'en avait pas envie. Au fond d'elle, elle espère qu'il lui fera face, juste une fois au moins. Elle ne veut plus se retrouver seule. Maintenant qu'elle retrouve enfin un de ses semblables, elle n'a pas envie de le laisser filer... Et puis, plus profondément encore, elle aimerait lui proposer son aide pour trouver ce fameux sorcier dont il a parlé. L'esprit de meute, peut-être. Son caractère sans doute. Mais elle ne dit rien. Elle regarde son dos qui s'éloigne lentement. Espérant en silence.

Mais il ne s'est pas retourné. Jamais. Au contraire, il a accéléré le pas. Il s'est mis à courir, simplement, abandonnant là la Louve et sa veste, sans un mot, sans un regard. Aurore, elle, elle est restée là, bouche bée. Déstabilisée par cette rencontre, elle scrute encore quelques secondes les fourrés dans lesquels il a disparu. Quelques secondes. Quelques minutes. Et puis lentement, elle se détourne. D'un pas lent, elle s'éloigne.

Qu'a-t-elle dit de mal ? Qu'est-ce qui l'a poussé à s'en aller ainsi ? Est-ce elle, ou simplement son caractère ? Quelque chose d'autre ? Elle ne sait pas. Et bizarrement, aucune de ces questions ne demande réellement réponse. Elles tournent simplement dans sa tête, résonnant comme un écho lointain, à peine audible, à peine compréhensible. Et elle, elle s'éloigne. Elle prend sa forme humaine, ramasse la veste, au cas où elle aurait l'occasion de la lui rendre... Du cuir, ça ne court pas les rues. Le coeur partagé entre la lourdeur et l'espoir, elle s'éloigne. Elle a retrouvé un de ses congénères. Mais lui ne semble pas aussi ravi qu'elle.