La Nuit avait été courte. Mouvementée. Agitée de visions, de rêves et de souvenirs du passé. Un passé bien trop sombre au goût de l'Alpha. Éclairé des flammes de l'incendie qui a ravagé sa vie et l'a changée à tout jamais. Le réveil a été terne, lui aussi. Plus le goût de rien, si ce n'est le souvenir âcre des cendres et de la fumée qui emplit sa gueule. Grondant vaguement, elle s'était étirée, avait secoué son pelage et était sorti au petit trot, laissant Lanawyn dormir. Elle l'avait prévenue de son départ la veille et elle était assez grande pour se débrouiller seule. Elle rejoint d'abord le ruisseau qui passe non loin de la Tanière et s'y désaltère longuement, tentant de faire partir ce goût fantôme qui est un peu trop souvent présent à son goût. Puis elle avise l'est ; l'aube n'est pas encore là. Elle prend donc le temps de chasser, repérant aisément un chevreuil dans l'air frais de la nuit. Parti tôt en espérant ne pas croiser de prédateurs de cette manière... C'était sans compter sur le voyage qui allait prendre forme aujourd'hui, pour les deux Loups Firosias. Foudre se tapit dans l'ombre, silencieuse. Elle scrute le chevreuil de ses yeux bleus, sans un bruit, puis se déplace lentement sur la droite, en silence, trouvant un position plus adéquate. D'une détente de ses muscles, elle s'élance, bondit, renverse et achève. Tout cela dans le silence le plus complet. Elle prélève sa part sur place, puis traîne le reste à la Tanière pour sa fille.

Déjà l'heure du rendez-vous arrive. Cela n'enchante guère la Louve, mais il faudra bien se prendre au jeu. Elle ne l'apprécie guère, Johann. Il est arrogant et il pense que les menaces sont le seul moyen de parvenir à ses fins. Ça, la Louve n'apprécie pas. Ou alors est-ce le fait qu'elle se laisse toujours prendre par surprise qui la dérange ? Ou celui qu'il la considère comme une Louvette ignorante et naïve ? Enfin, peu importe. Elle n'aime pas sa manière de la traiter et elle avait choisi de clairement le lui faire comprendre. Mais passons. La Louve effleure l'épaule de sa fille du bout de la truffe pour lui dire au revoir sans la réveiller, ramasse la veste en cuir de Johann qu'elle a oublié de lui rendre jusqu'à présent, puis s'élance dans la nuit, ombre silencieuse qui traverse les bois. Elle se roule dans la terre et les feuilles mortes à bonne distance de la Tanière, pour être sûre qu'elle ne porte plus l'odeur de Lanawyn puis rejoint le point de rendez-vous, la veste dans la gueule. Pitié qu'il s'habille correctement, pour une fois !

Lorsqu'Aurore trouve enfin Johann, il est allongé dans l'herbe mouillée, les mains calées sous sa tête, les jambes croisées. Sans savoir comment ni pourquoi, il trouve toujours un moyen d'exaspérer la Louve, tiens. Elle lève légèrement les yeux au ciel, s'approche au petit trot, et sans un mot et lâche sa veste près de son épaule. Aussitôt elle se détourne et s'éloigne légèrement, si bien parce qu'elle est pressée de partir -et accessoirement d'en finir avec lui- que parce qu'elle ne lui fait pas confiance. Après tout il finit toujours par la choper et la menacer, alors autant garder ses distances. Elle s'arrête entre les arbres, se retourne et lui jette un regard impassible voire hautain. Sa voix froide et autoritaire résonne :

Ce n'est pas une question. Plus vite ils seront partis plus vite ils arriveront chez le sorcier et plus vite ils repartiront... Ou alors ils auront juste plus de temps pour le questionner. Peu importe, tant qu'elle peut laisser cette journée derrière elle très rapidement. Alors tout naturellement, elle s'impatiente de partir. De plus, elle n'a pas envie de s'embêter à essayer de discuter ; elle n'a rien à lui dire et elle n'a aucune raison de l'accueillir comme il se doit. Autant en finir au plus vite, alors.

Un regard en guise de remerciement, puis il se lève et emboîte le pas de la Louve. Il n'a aucun mal à la suivre, même sous sa forme humaine. Il garde une allure régulière, sautant par-dessus les buissons et les arbres morts sans aucun difficulté. Elle devait bien reconnaître que sur le plan condition physique, il n'était pas mal. Elle, sous sa forme humaine, elle ne sait que trébucher par-dessus les arbres morts et se crocher les pieds dans les buissons. C'est en partie pour cela qu'elle garde sa forme lupine ; elle est bien plus à l'aise comme ça. Et ça se voit. On croirait presque qu'elle vole au-dessus des obstacles, la Louve. Elle est rapide et agile, mais elle se garde bien de semer Johann dans son sillage.

Petit à petit, ils se rapprochent de la Montagne Fabrice. Là, dans une cabane délabrée vit un sorcier du nom de Flavius Beegles. S'il n'était pas allié aux vampires, il ne l'était pas non plus aux Loups, et il préférait rester en dehors de tout ça. Cela ne l'empêchait pas de répondre aux demandes des villageois pour leur offrir diverses potions... voire poisons. Il lui arrivait également d'aider les chasseurs, peu importe la créature visée. Mais les temps changent, et peut-être qu'autrefois il a connu la guerre qui faisait rage entre les vampires et les Loups Firosias.

Aurore prend sa forme humaine. En silence, elle se glisse vers la bâtisse et jette un oeil à l'intérieur par l'une des fenêtres. Flavius s'affaire entre ses étagères et un sac. A-t-il pressenti leur arrivée ? La Louve cherche le regard de Johann puis se détourne et se dirige vers la porte. Elle frappe brièvement sur le battant, dissimulant un petit sourire moqueur. Après tout, son geste pourrait presque être absurde.

Aurore soupire puis se détourne, fait mine de repartir là d'où elle vient et déclare simplement, moqueuse, à l'attention de Johann :

Au fond d'elle, elle sait déjà ce que Johann compte faire, et elle n'a pas envie d'y assister. Mais ce serait fou de croire qu'il la laisserait s'en aller comme ça ou qu'il accepterait de laisser ce sorcier filer.

Évidemment, Johann n'était pas de cet avis. Il grogne et, ignorant royalement Aurore, s'approche de la porte. Il la décroche de ses gonds sans aucune difficulté, sous l'oeil impassible de la Louve. Le sorcier, lui, est tout de suite moins calme.

Tandis que Méphistophélès s'introduit dans la cabane sans y être invité, Aurore patiente sagement à l'extérieur. Elle ne prendrait pas le risque de s'aventurer chez un sorcier comme ça. Elle voit cependant le sourire sarcastique de son congénère.

Flavius écarquille les yeux, Johann l'attrape par le col et le soulève du sol. Au moins a-t-il la chance de profiter du COL et pas de la GORGE pour être soulevé de terre, ce qui n'avait pas été le cas de la Louve. Mais l'heure de la vengeance a sonné. Elle aurait pu le prévenir de ce qu'il risquerait de se passer. Elle aurait pu l'empêcher de se jeter dans la gueule du... Non, loup serait déplacé. Disons la gueule du monstre. Les sorciers, elle les connaissait bien, elle avait pratiquement grandit avec eux. Et elle savait surtout qu'ils savaient se défendre. Or, rien ne lui ferait plus plaisir que de voir Johann se prendre une raclée.

Flavius reprend ses esprits très rapidement. D'un sort rapide, il propulse Johann par la fenêtre. Aurore l'observe, imperturbable. Un sourire moqueur se dessine même sur ses lèvres. Elle est ravie. Sa voix moqueuse le remet en place tandis qu'il se relève :

Peut-être qu'elle ne lui apprenait pas vraiment à se faire des amis, mais il aurait bien besoin d'une leçon de courtoisie, ça, c'est certain ! Et elle espérait que sa phrase le lui rappellerait. Flavius réajuste le col de sa chemise en grommelant :

Elle entre dans la cabane sans attendre de réponse et balade son regard sur les étagères remplies de plantes et de bocaux divers. Elle fait mine de s'approcher de la bibliothèque, sans un bruit, comme intéressée par son contenu... Puis bondit sur le côté et colle sa main sur la bouche du sorcier, y enfournant deux feuilles séchées et le forçant à avaler. Il se débat mais elle n'a aucun mal à maintenir sa prise et une fois les feuilles avalées, elle le lâche, lui offre un sourire moqueur.

Bien entendu, il savait ce qu'elle lui avait donné, mais elle précisait cela à l'attention de Johann. Malgré tout, elle l'aurait bien laissé se faire ridiculiser un peu plus longtemps...

Johann ne fait aucun commentaire quant à la remarque de la Louve, pas plus qu'en réalisant qu'elle l'avait laissé se débrouiller seul pour mieux le voir se ridiculiser. Il s'approche à nouveau, direct et franc, comme si la leçon ne lui avait pas suffit. Frimeur ? Idiot ? Peu importe. Il est trop sûr de lui, trop arrogant, et son attitude ne surprend donc pas la Louve. Il s'approche d'eux, Aurore reste légèrement en retrait derrière le sorcier, au cas où l'idée de s'enfuir par une fenêtre lui viendrait. Il fallait être fou pour espérer échapper aux deux Loups. Mais la peur n'a jamais été une alliée de la rationalité, il vaut donc mieux prévenir que courir après un sorcier en fuite.

Le coeur de la Louve rate un battement. Elle glisse un regard en coin à Johann, une légère lueur d'inquiétude mêlé de reproche dans les yeux. Elle n'avait vraiment pas envie d'en arriver là et il valait mieux qu'il laisse une chance au Sorcier de se prononcer, sinon elle le prendrait très mal.

Ce n'était pas elle qui était menacée ainsi, et pourtant, elle était tentée de déglutir tant elle était mal à l'aise. Cependant, elle eut la bonne idée de garder un regard froid et impassible lorsque Flavius lui lança un coup d'oeil inquiet. Elle hausse légèrement un sourcil, tentant de le conforter dans l'idée qu'il valait mieux prendre Méphistophélès au sérieux, mais elle se garde bien de tout commentaire. D'un côté parce que sa voix aurait paru très peu naturelle, et de l'autre parce qu'elle avait surtout envie de s'opposer aux méthodes du Firosia.

Flavius paraissait tout à coup tellement moins sûr de lui ! Et pourtant, Aurore avait terriblement envie de le croire. Elle aurait voulu que ce soit vrai. Ne serait-ce que pour lui éviter quelques désagréments... Seulement, elle avait remarqué un bocal qui n'avait pas grand chose à faire sur ses étagères... Un bocal rempli d'aconit. Et pas n'importe laquelle. La seule sous-espèce capable de causer du tort aux Firosias. Ainsi donc il devait en connaître un rayon sur eux, et cela devait forcément aller de paire avec quelques réponses aux questions de Johann. Mais peut-être n'était-ce qu'une coïncidence... ? Peut-être... ? Elle glisse un regard à Johann, les lèvres pincées.

Johann lui rend un regard impassible. Aucune émotion, aucune lueur, rien. Un frisson court le long de la colonne vertébrale de la Louve. Il s'adresse à elle :

Aurore serre les dents, désapprobatrice. Cependant elle ne bouge pas d'un poil, le regard sombre, presque noir. Elle n'aime pas ses méthodes, certes, mais ce n'est pas une petite louvette non plus, elle peut bien supporter ça non ? Qui est-il pour la juger si faible et geignarde ? Elle ne bouge pas d'un poil, tout muscles tendus. Johann, lui, passe lentement à l'action. Obligeant d'abord le sorcier à s'asseoir en se servant simplement d'intimidation, puis fait craquer ses doigts. Son regard est froid. Son visage, sans émotion. Vide. Dénaturé. Comme une peinture mal faite, mal interprétée... Pourquoi est-elle restée ? Pour prouver qu'elle est plus forte que ce qu'il croyait, ou pour voir ça ? Peut-être les deux, peut-être les deux... Mais ce qu'elle voit la rebute. Sa gorge se noue doucement. Johann attrape le bras du sorcier sans lui prêter attention :

À cet instant, Johann est seul avec le sorcier. Il n'y a rien, rien de plus qu'eux. La cabane n'existe plus. Le bocal sur l'étagère n'existe plus. Aurore n'existe plus. Elle est là, elle assiste à la scène, mais elle n'a aucune possibilité d'interaction avec elle. Elle est là, elle regarde, c'est tout.

Découvrir toutes les facettes d'une personne, c'est effrayant, vous en conviendrez. Mais découvrir celles d'un potentiel ennemi qui peut aussi très bien se révéler un grand allié... C'est plus effrayant encore. Et que dire, encore, si la facette en question n'est pas des plus rassurantes, surtout qu'on vous a plusieurs fois menacé de vous la présenter... dirigée contre vous ? Bref, tout inquiète Aurore à cet instant. Et le regard froid, sans vie de Johann lui donne la nausée. Elle n'est plus très sûre de vouloir voir la suite, pourtant elle s'attarde, juste une seconde, un dernier instant, comme pour s'assurer que cette image terrifiante resterait à jamais gravée dans son esprit. Celle du prédateur froid et calculateur qu'est réellement Johann.

La peur se fait sentir, chez le sorcier. Mais ce qui intéresse Aurore, c'est le sourire carnassier qui se dessine sur les lèvres de Johann. Un sourire, certes, mais dénué de toute chaleur, voire de tout sentiment. Un sourire de glace, sculpté au couteau dans un visage de marbre, impassible... Un sourire effrayant.

La prise du Firosia se resserre sur le bras du sorcier. Il lui laisse une dernière chance. Une dernière opportunité.

Le sorcier secoue la tête, négatif. Aurore observe la scène, impassible, incapable de réagir. Elle scrute le visage de Johann, la gorge nouée. Elle sait déjà ce qui va arriver. Mais elle a beau s'y attendre, rien ne l'y prépare. Soudain, un craquement horrible retentit, mêlé au son de la chair se déchirant, surpassés d'un cri de douleur déchirante du sorcier. Aurore sursaute, les yeux écarquillés, choquée. Elle regarde le bras sanglant, la chair déchirée, l'os apparent sans réellement les voir. Ses yeux remontent sur le visage de Johann, le souffle court. Aucune émotion... Juste ce sourire. Rien d'autre.

Son souffle la perd. Pas parce que l'acte en lui-même la répugne, plutôt parce que la facette qu'elle découvre chez son congénère la dégoûte. Sa gorge se serre. Elle cherche son souffle. Observe Johann, secoue la tête, comme pour dire à son esprit "Non, ce n'est pas possible, tu as tout inventé" puis elle s'enfuit. Ou alors était-ce un geste réprobateur ? Déçu ? Elle prend sa forme de Louve et s'enfuit ventre à terre. Pur réflexe, pure carapace. Personne ne la dérangera sous cette forme-là. C'est son monde, sa protection, sa nature. Son vrai elle. Le seul "endroit" qui lui offre un semblant de sécurité, de stabilité. Elle n'a jamais été faite pour être humaine. Elle aurait été uniquement Louve, ç'aurait été pareil. Elle court longtemps. Peut-être un peu trop, d'ailleurs. Mais elle ne veut pas recroiser Johann. Elle ne veut pas qu'il la retrouve. Elle commence même à remonter un ruisseau pour qu'il ne puisse pas suivre sa piste, puis se résigne après une cinquantaine de mètre et s'en écarte... avant de recommencer à le remonter. Elle ne sait même plus ce qu'elle fait, la pauvre. Elle ne sait même plus si elle veut qu'il la retrouve ou pas. Peu importe. Peu importe... Lorsque ses membres tremblants d'émotion sont trop faibles pour la porter, elle s'arrête. Elle prend sa forme humaine. D'une corniche, elle a une vue plongeante sur la vallée en contrebas. Sur presque la totalité de la région. Elle ne sait même pas comment elle est censée réagir... Elle est dégoûtée, certes, dégoûtée de ce qu'elle découvre chez ce Firosia, un des derniers représentant de son espèce. Mais elle a peur aussi. Et quelque part, une pointe de remord la ronge. Est-ce parce qu'elle l'a mené au sorcier ou parce qu'elle croyait Johann différent de ce qu'il est ? Ou peut-être est-ce plus profond, enraciné dans sa chair... Est-ce qu'elle s'en veut de l'apprécier, quelque part ?

L'absurdité de cette pensée la fait rire. Un rire nerveux, sans doute, car rien ne lui donne envie de rire à cet instant. Elle cherche son calme, cherche à retrouver contenance, à interrompre le tremblement de ses membres, les battements affolés de son coeur, les saccades de son souffle court... Sans y parvenir. Comme en pleine crise de panique. Incapable de refaire surface. Une larme coule sans même qu'elle s'en rende compte. Elle se hait d'être si faible, si naïve, et elle hait Johann d'être si froid, impassible. Après la surprise de la désillusion, c'est la colère qui monte doucement en elle. Contre elle, contre lui, contre tout et rien à la fois. En fait, elle est totalement perdue, même avec ses propres émotions.

Dans la nuit s'élève un chant, quelques heures plus tard. Un chant triste, mélodieux... Aurore l'écoute en silence. Elle est presque calme, désormais. Même si ses pensées restent totalement désordonnées, son souffle s'est apaisé et elle a retrouvé un peu de contenance. Elle l'écoute sans mot dire. Il ne lui est pas adressé, il n'est adressé à personne, sinon au ciel, à la lune, aux étoiles... Au monde nocturne qui s'ouvre devant leurs yeux. Il est triste, ce chant. Presque déchirant. Mais la Louve est lasse, elle. Même si son instinct pousse à rejoindre Johann -car elle l'a reconnu-, elle n'en a pas envie. Elle n'est pas sûre de pouvoir faire face à cet être capricieux et impulsif qui change d'humeur comme de chemise... Si tant est qu'il en porte, ce qui est rare. Elle n'a pas envie de revenir la tête basse, les oreilles pliées pour tenter de le réconforter. D'ailleurs, qu'est-ce qui le rend si triste ? Il n'y a aucune raison apparente. Ça se voyait dans ses yeux, il aimait ce qu'il faisait. Pourquoi s'en plaindre à présent ? L'indécision et les caprices du Loup lui arrache un petit grondement discret. Pourtant, elle prend sa forme lupine et s'éloigne de la corniche, d'un pas lent. Elle ne sait pas encore si elle veut vraiment le rejoindre ou si elle va simplement faire demi-tour et retourner à sa Tanière, loin de tout cela, pour ne plus jamais en sortir. Chaque pas est laborieux, entre l'envie d'avancer et celle de reculer, et pourtant... Elle finit par rejoindre Johann dans le silence le plus complet.

Profitant d'un petit plateau, il est roulé en boule, la queue sur la tête, cachant son visage. Mais la gorge de la Louve se serre. Pas parce qu'il a l'air terriblement vulnérable, à cet instant, mais parce que les souvenirs de la journée planent dans son esprit. Le sourire, le froid dans ses yeux... L'a-t-il entendue arriver ? Est-il encore temps de repartir ? Elle aimerait bien. Pourtant elle se remet en mouvement et s'avance en silence. Il ne relève pas la tête. S'il l'a remarquée, il n'en laisse rien paraître. Pourtant il ne semble pas endormi. C'est pour cela que Foudre se permet d'effleurer son épaule du museau, tout doucement. Un contact bref, dérobé, volé à la lumière de la lune pour le réconforter ou simplement lui dire qu'elle était là, qu'il pouvait compter sur elle malgré tout ce qui les sépare. Puis elle se redresse, l'observe en silence, les oreilles pliées. Malgré tout ce qu'il est, tout ce qu'elle déteste chez lui, elle n'aime pas le voir comme ça. Et qu'il se redresse ou pas n'y changera rien, elle restera là. Elle serait presque prête à se lover contre lui pour lui montrer sa présence, mais elle préfère attendre de voir s'il réagit ou pas.

Il tremble. De tous ses membres, de tout son corps. Il tente de se faire plus petit aussi, recroquevillé sur lui-même. Comme pour disparaître. Pourquoi ? Elle n'en sait rien. Tente-il de disparaître aux yeux de la Louve ? Mais pourquoi ? Elle n'a même pas envie de chercher à savoir. Il gémit faiblement. Il avait l'air tellement vulnérable ! La gorge de la Louve se serre. Johann ne bouge pas, tremblant, gémissant doucement, sans oser affronter le regard de la Louve. Alors celle-ci fait la chose la plus inattendue au monde. Elle lui donne un coup de langue sur l'oreille, comme une mère avec son petit ou la louve avec un compagnon puis s'allonge, se collant tout contre son corps pour lui montrer qu'elle est là, qu'elle ne lui en veut pas et que, même si ce n'est pas tout à fait vrai, qu'elle n'éprouve aucun dégoût, aucune répulsion à son égard. Que pour elle, ça n'a pas d'importance, que ce qui est fait est fait et que se morfondre ne sert à rien. Et elle se blottit contre lui, leur pelages se mêlent, sa tête tout contre sa joue, douce et réconfortante présence contre le corps tremblant du mâle.

Sa voix est rassurante. Ce n'est pourtant qu'un murmure, mais y sont contenus toute la force et l'assurance dont elle peut faire preuve. Elle ne sait peut-être pas très bien exprimer ses sentiments, mais lorsqu'il s'agit de réconforter quelqu'un, elle sait user du bon ton, même si ses mots sont courts et peu utiles d'eux-mêmes.

Elle ne demande aucune explication, la Grise. La raison de sa tristesse, elle s'en fiche, en soit. Tout autant que les actes précédent. Même s'ils planent dans son esprit et dans sa mémoire, ils n'importent plus. Tout vole en éclat. L'alpha refait surface, réconfortant les siens comme une mère ses louveteaux... Mais peut-être devrait-elle parler d'égal, plutôt. Elle ne laissera plus jamais quelqu'un souffrir par sa faute. Plus jamais. Et cette promesse remonte à longtemps auparavant, déjà. Du temps où les vampires se réjouissaient de leur victoire sur les Loups.

Johann sursaute au coup de langue, puis cesse de trembler lorsqu'elle prend la parole. Il n'avait rien fallu de plus et déjà, le revoilà calme. Il ouvre un oeil, incertain. Aurore ne dit rien, le laisse faire. Il se racle la gorge, hésitant, puis frotte sa joue contre celle de la Louve. Le souffle de cette dernière se coupe une seconde, sans savoir vraiment pourquoi. Sont-ce les récentes découvertes ou autre chose qui la rend si gênée, tout à coup ? Johann finit par murmurer :

Elle lui offre un petit sourire, comme pour dire que ce n'était rien, qu'il n'avait pas besoin de la remercier. Et puis il reprend la parole, hésitant :

Aurore se redresse, relevant la tête. Elle observe Johann une seconde, interrogative, puis, devinant qu'il attendait une réaction de sa part pour continuer et développer -ou pour ne rien dire de plus d'ailleurs-, elle penche légèrement la tête sur le côté. Elle l'invite à continuer d'une voix douce :

Aucun empressement dans sa voix ; elle attendrait le temps qu'il faudra. Cependant, de son point de vue, on a toujours le choix de ses actes, alors la situation l'intrigue. Mais elle ne le forcerait pas à continuer s'il ne le désirait pas. Elle savait être patiente et s'il fallait attendre tout une vie, elle le ferait. Bien qu'une petite parcelle d'elle prie pour ne pas avoir à le faire et juste disparaître loin d'ici, ne plus jamais croiser sa route...

Johann évite soigneusement le regard de la Louve. Il n'ose simplement pas la regarder, et d'un côté, cela rassurait Aurore. Cela signifiait que, premièrement, il ne se foutait pas d'elle en prétendant avoir un sujet important, et deuxièmement qu'il avait perdu ses grands airs et son arrogance. Elle le préfère ainsi. C'est plus calme, plus reposant. Elle l'écoute en silence, attentive.

Aurore prend le temps d'assimiler, restant silencieuse quelques secondes. Puis elle prend la parole :

Elle lui offre un sourire rassurant, puis se relève et s'éloigne de quelques pas raides. Les souvenirs d'autrefois refaisant surface, elle préférait s'éloigner pour cacher un certain malaise. Elle aussi, elle avait été sous-estimée. Par toute sa Meute qui plus est. Sauf que ça les avait conduit à la mort. Il avait suffit qu'elle les leurre avec une stupide pierre et paf, la voilà alpha. Et paf voilà la Meute piégée dans les flammes. Peut-être qu'elle n'avait pas tué sa Meute elle-même, de ses crocs, mais elle les avait bien trahit, quelque part, les laissant livrés à eux-mêmes. Elle n'avait pas été assez forte pour endosser ses responsabilités et elle les avait laissé périr. Pour elle, ce n'était pas quelque chose qu'on pouvait changer en retrouvant un sorcier ou une fichue formule magique. Elle, c'était inscrit dans sa chair. Ça coulait dans ses veines.

Johann grimace légèrement. Aurore l'observe, penche légèrement la tête sur le côté. Mais le Loup se contente de se lever et s'étirer avant de prendre la parole :

Quelle pessimisme ! Alors qu'elle venait de lui dire que ce n'était pas perdu d'avance ! S'il n'aimait pas sa condition, pourquoi ne pas vouloir en changer ? Elle ne comprenait pas. Mais elle ne demande pas non plus. Ils en reparleront sûrement bien assez vite, de toute façon, alors peu importe. En plus, elle n'a plus très envie de discuter aujourd'hui. Tout cela l'a épuisée. Elle prend cependant le petit trot quand il la rejoint et ils entreprennent de retourner à Flamdone, chez eux. Abandonnant toute cette mauvaise journée derrière eux. Et dire qu'ils devront recommencer encore et encore jusqu'à ce qu'ils trouvent des réponses convaincantes ! La Louve est lassée d'avance. Elle se fera un plaisir de se rouler en boule auprès de Lanawyn, ce soir, et de dormir tout son saoul, ça, c'est clair. Quelques heures plus tard, ils arrivent aux abords de la ville, mais à bonne distance tout de même. Aurore n'aime pas la ville, elle s'en arrête donc à bonne distance et déclare :

Elle marque une pause, détourne un instant le regard, songeuse, puis demande, le nez légèrement froncé :

Johann semble perturbé. Il ne regarde pas la Louve. Elle n'insiste pas non plus. Puis, enfin, il relève la tête. Un frisson court le long de la colonne vertébrale de la Louve, sans pour autant en connaître l'origine. Il prend la parole, froid, sans émotion :

Aussitôt il reprend le chemin de la ville. Aurore fronce le nez. Il aurait au moins pu lui laisser un jour de repos ! Il aurait ne serait-ce que pu être gentil... Un peu de courtoisie lui écorche donc la langue ? Elle baisse les yeux sur le sol, s'apprête à se détourner à son tour. Mais Johann s'arrête à quelques pas et se retourne, l'observe froidement, avant d'ajouter :

Aurore détourne le regard, désolée. Il est vrai qu'elle n'avait pas son mot à dire, après tout. C'était son problème, pas celui de la Louve. Elle n'avait pas à essayer de l'aider, ni quoi que ce soit d'ailleurs. Si elle avait accepté de lui rendre service en l'aidant à trouver ce sorcier, c'était uniquement pour qu'il laisse, à terme, Lanawyn en paix et qu'elles puissent rester dans le coin sans rien risquer. Elle remplissait sa part du marché ; l'aider n'en faisait pas partie. De plus, s'il voulait rester comme ça... C'était son problème. Mais... Pourquoi ? Alors qu'il prétendait ne pas aimer ce qu'il faisait ? Peu importe... Bon sang, peu importe... Elle secoue doucement la tête, la petite Louve, et se détourne sans un mot, la tête légèrement basse. Ce n'étaient pas ses affaires. Elle ne devait pas s'en préoccuper. Elle ne devait pas.